Perspectives internationales

lundi 24 août 2015, par Philippe Lejeune

L’APA n’est pas seule. D’autres associations en Europe œuvrent dans le même sens et cherchent à coordonner leurs efforts. On lira ci-dessous l’article de Philippe Lejeune pour La Faute à Rousseau n° 70 d’octobre 2015, consacré à la réunion d’Amsterdam du 5 juin 2015, fondant l’EDAC (European Diary Archives and Collections).

Sourciers d’Europe

Amsterdam, 5 juin 2015 : une quinzaine de personnes, venues d’archives autobiographiques de toute l’Europe, se sont réunies au Meertens Institute, qui abrite le Nederlands Dabdoekarchief, fondé en 2010 par Monica Soeting (voir La Faute à Rousseau, n° 64, p. 73-74). Il s’agit d’abord de faire, ou refaire, connaissance. En commun aux sept « archives » représentées, leur originalité : ce n’est pas qu’elles possèdent des documents autobiographiques (ce serait banal), mais elles ont été fondées uniquement pour en conserver : leurs fonds sont entièrement et exclusivement consacrés aux écrits autobiographiques des gens ordinaires, du passé et de l’immédiat présent. En Italie, l’Archivio Diaristico Nazionale, fondé en 1984. En France, l’APA, fondée en 1992. En Allemagne, le Deutsches Tagebucharchiv, fondé en 1998. Aux Pays-Bas, le Nederlands Dagboekarchief, fondé en 2010. En Grande-Bretagne, le Great Diary Project, fondé en 2011 (voir La Faute à Rousseau, n° 64, p. 4-6). En Hongrie, il s’agit de ce qui n’est encore qu’un projet, à partir de la collection personnelle d’un jeune historien, Gergely Kunt . À quoi s’ajoute un fonds plus ancien de « récits de vie » à l’université de Vienne. D’autres fonds analogues ont été contactés, n’ont pu venir, mais se joindront sans doute au mouvement dans l’avenir.

Le matin, donc, on fait connaissance. Chacun présente son archive avec un petit diaporama. Souvent, à l’origine, on trouve la passion d’un fondateur. Chaque archive a son profil. À Pieve S. Stefano, il y a un concours annuel, un jury, un prix. C’est un cas unique. Partout ailleurs, on attire les textes par voie de presse et par le bouche à oreille. Il n’y a qu’en France qu’on affiche le mot « autobiographie » et qu’on entretienne une correspondance avec les déposants-auteurs. Ailleurs, le « journal » tient la vedette et on lui donne la priorité. Le parent pauvre semble être la correspondance : on apprend même qu’en Allemagne, à Emmendingen, on les refuse : trop difficiles à inventorier, classer, lire, utiliser : fatras ! Seules deux archives ont une action culturelle régulière plus large, et publient une revue « grand public » : Primapersona, en Italie, et notre Faute à Rousseau. On parle catalogage, numérisation. On parle argent : tout le monde a plus ou moins des problèmes, en particulier s’il s’agit de payer un ou des salariés. Mais tout le monde est logé gratis, soit par une collectivité locale (petite ville ou village), soit par une institution culturelle (musée, bibliothèque, institut).

L’après-midi, l’heure est à l’action : qu’allons-nous faire ensemble ? L’heure est aussi à la prudence : d’autres rencontres de ce genre, en particulier à Roveretto en 1998 (voir La Faute à Rousseau, n° 17) et à Bruxelles en 2003 (voir n° 35) n’ont mené à rien. L’organisation qui coiffe le réseau s’appellera « The European Diary Archives and Collections Network » (acronyme : EDAC). Son secrétariat sera assuré à tour de rôle pour deux ans par les différents membres, nos amis hollandais assurant le premier tour jusqu’en 2018, et s’engageant à créer un site Web avec une liste de discussion qui permettra à chacun de faire connaître aux autres ses réunions, publications et autres activités. D’autre part il est prévu de se réunir chaque année, si possible à l’occasion de la réunion annuelle de telle ou telle archive : en 2016, en septembre, à Pieve Santo Stefano ; en 2017, à une date encore inconnue, à... Ambérieu-en-Bugey, lors des Journées de l’autobiographie (sous la forme d’un atelier, mais aussi, peut-être, sous une forme plénière à imaginer). Un premier projet commun a été choisi, à la fois modeste et ambitieux : chacun doit repérer dans ses archives les passages de journaux, autobiographies, correspondances, datant de la première semaine de juin 1950. Pourquoi 1950 ? Parce que le 9 mai de cette année-là a été fondée la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, premier noyau de la future Europe. Pourquoi la première semaine de juin ? Parce que nous étions le 5 juin 2015 ! Nous avons élargi à la semaine pour être sûr d’attraper quelque chose dans nos filets. Que ferons-nous du butin ? Les textes trouvés seront publiés sur le nouveau site. Dans quelle langue ? La langue originale bien sûr, mais il faudra imaginer de les présenter dans une langue commune, qui ne saurait être que l’anglais (à Amsterdam, tout s’est dit en anglais). Donc au travail : il faut passer la Grenette au peigne fin pour y trouver... sans doute tout autre chose que de l’acier et du charbon... un vécu quotidien à comparer de pays à pays, si tant est qu’il s’agisse de choses comparables.

Une autre forme de comparaison possible avait été évoquée en début d’après-midi, non plus dans le passé, mais dans le présent, à l’image de ce qui a déjà été tenté en Finlande (voir La Faute à Rousseau, n° 54, juin 2010, p. 58-59) : on avait demandé à tous les Finlandais qui le voudraient de tenir le 2 février 1999 leur journal du jour et de l’envoyer : tout a été archivé et une anthologie publiée. Il est vrai qu’aujourd’hui, il faudrait tenir compte d’Internet... Étendu à toute l’Europe, ce « jour du journal » permettrait peut-être des comparaisons intéressantes... sur les manières de vivre, sur les manières d’écrire ? Mais quel énorme travail ! quelle tour de Babel à gérer ! et combien de kilos de dossiers à remplir pour obtenir, au compte-goutte, le pactole de la Communauté européenne ?

Allons plutôt au charbon et à l’acier : cherchons sagement dans nos archives d’authentiques témoignages de jadis. Début juin 1950, j’avais onze ans et demi et pas la moindre idée de tenir un journal. Mais rien n’est perdu : nous explorerons pour nos amis européens les trésors de la Grenette !