Even... en mémoire de Rosa Shabad-Gawronska
N° 10 hors série de la revue Tsafon, octobre 2022 Even...
Une pierre de vie en la mémoire de Rosa Shabad-Gawronska et des orphelins du ghetto de Vilna Site Internet : https://www.tsafon-revue.com/
Muriel Chochois ne pouvait trouver meilleur symbole que cette pierre vive pour introduire son sujet. Il lui a fallu quinze années de travail acharné, de recherche dans des archives internationales, de rencontres de témoins dans une course contre la mort et l’oubli, pour réaliser une enquête exclusive sur une jeune femme rebelle, devenue médecin engagée dans le bien-être des enfants et des mères, qui jamais n’abdiqua. Née en 1882 à Vilnius, alors ville de l’empire russe (aujourd’hui capitale de la Lituanie), Roza Shabad-Gawronska part étudier la médecine à l’université de Fribourg où elle soutient sa thèse en 1907. Rentrée en Russie, elle se spécialise dans les maladies infantiles. Perçue comme une agitatrice par le régime tsariste, elle est emprisonnée. Libérée par la révolution de février 1917, elle part dans le Caucase pour le compte de la Croix-Rouge où elle soigne femmes et enfants durant quatre années. Elle revient en 1922 à Vilnius (devenue, entre temps, ville polonaise) où elle installe son cabinet de médecin tout en travaillant pour « l’Œuvre de Secours aux Enfants ». Très active, elle s’engage auprès de sa tante dans une école montessorienne, crée la première « École des futures mamans » et s’occupe d’un centre d’accueil pour enfants juifs réfugiés, venus de différentes régions de Pologne. Au début de la Seconde Guerre mondiale, Vilnius est d’abord occupée par l’armée russe. En juin 1941, quand les Allemands investissent la ville, elle devient la responsable de l’orphelinat, installé dans le ghetto juif, qui accueille des jeunes dont les parents ont été assassinés ou qui ont déposé leurs enfants afin de mieux les protéger.
« Le rôle des adultes qui étaient présents aux côtés des enfants, de façon permanente, comme le personnel médical et les enseignants, ou qui intervenaient ponctuellement, était de veiller à ce que les enfants continuent à avoir envie de se battre pour la vie. » Lors de la liquidation du ghetto, le 23 septembre 1943, alors qu’elle en a la possibilité, elle refuse de s’échapper pour ne pas abandonner les enfants de l’orphelinat dont elle a la charge. « J’ai mes enfants, je serai avec eux jusqu’au bout » sont les derniers mots prononcés par Roza Shabad-Gawronska. Le lieu de l’assassinat de Roza Shabad-Gawronska demeure inconnu. Les témoignages de survivants divergent, le situant dans le camp d’extermination de Majdanek ou dans celui de Treblinka ; un troisième relate son assassinat à Ponar. Muriel Chochois a retrouvé la liste d’enfants de l’accueil de jour. Elle a émis l’hypothèse que, parmi ces enfants, se trouvaient des orphelins. Leurs noms, prénoms et dates de naissance sont répertoriés dans son livre, ainsi que leurs liens de parenté quand elle est parvenue à les reconstituer.
Le 23 septembre 2013, lors de la commémoration nationale de la liquidation du ghetto de Vilna instaurée par la République de Lituanie, des pierres portant les noms d’enfants, de femmes et d’hommes juifs de Vilnius assassinés ont été posées le long du chemin menant au monument principal de Ponar. Le nom de Roza Shabad-Gawronska figure sur une pierre. Une pierre de transmission. Une pierre de filiation. Une pierre de vie qui déclare, à celles et ceux qui reposent en ce lieu, que l’on s’inscrit dans leur héritage, que l’on se place dans l’enchaînement des générations qui prolongent leur histoire. Le livre de Muriel Chochois n’a d’autre mission que de rappeler cela. Mais elle est immense.