Fatimata Diallo : Sous mon voile

vendredi 2 octobre 2015, par Madeleine Rebaudières

Seuil, 2015, collection "raconter la vie"

Que se passe-t-il dans la tête d’une jeune étudiante malienne qui a tant rêvé de Paris lorsqu’elle vivait à Bamako, au milieu de sa famille, quand elle parvient à réaliser son rêve : venir étudier en France ?

Fatimata Diallo avait une vie facile et très libre, était une basketteuse passionnée, avait un petit copain, et sortait en boîte le week-end avec ses frères et sœurs, ses ami(e)s et ses cousins. Elle faisait les cinq prières par jour, mais personne dans sa famille ne portait le voile. Elle s’habillait, se coiffait, mettait des bijoux pour sortir.

Ayant obtenu une bourse du gouvernement grâce à ses bonnes notes au baccalauréat, elle étudiait en première année d’économie et gestion pour devenir agent-comptable comme son père, mais, déçue par l’université du Mali, elle n’assistait plus aux cours. Elle ne rêvait que de Paris, vu à travers Plus belle la vie. Elle y parvient avec le soutien de ses parents et débarque à Paris, en banlieue, chez un ami de son père qui l’héberge un temps, avant son entrée à la fac de Villetaneuse où elle est inscrite.

Seule dans l’appartement de cet « oncle », loin de sa famille, elle « pense au sens de sa vie », a peur d’être gagnée par « la vie facile » et « comprend que la prière ne suffit pas ». Trois semaines après son arrivée, voulant « se protéger » elle-même, « être respectée », elle « fait son changement » et porte le voile sur d’amples robes sombres (qu’elle demande à sa mère ou à des amies). Désapprouvée par son "oncle" qui renonce aux projets qu’il avait faits pour elle, plus tard, elle décide aussi de ne plus serrer la main des hommes. « Pour savoir où est le bien », elle écoute des sourates sur YouTube et va à la mosquée, quand elle le peut.

Son voile lui crée des problèmes et après les attentats de janvier 2015, elle ressent une plus forte agressivité contre elle, partout dans la rue, et pour trouver un job compatible avec ses études afin de payer ses frais et la chambre en résidence, partagée avec une amie. Elle voudrait aussi envoyer de l’argent chez elle, mais elle ne trouve que du babysitting auprès de familles « blanches » qui l’acceptent comme elle est et apprécient l’amour qu’elle porte à leurs enfants.

Ce petit livre, écrit avec l’aide de Pauline Peretz, responsable de la collection « raconter la vie » au Seuil, est le récit de la galère de la jeune étudiante, (que l’on pourrait intituler : avoir vingt ans à Villetaneuse) : le manque d’argent, la difficulté à suivre des cours ardus, à les concilier avec les prières et le babysitting. Les rencontres aussi, les amies, le « local malien » où l’on peut parler en bambara, les traditions africaines, lors d’un mariage sénégalais, le sport au gymnase où le prof est compréhensif comme le médecin et l’assistante sociale de la fac.

Après avoir validé de justesse sa première année, Fatimata Diallo ne parvient pas à suivre en deuxième année, et ne pense qu’à « partir », quitter ce pays « France, pays de liberté » auquel elle ne croit plus. Elle cherche un pays qui accepte les filles voilées. Elle rompt avec l’ami malien resté au pays, qu’elle devait épouser et qui la demande à son père. Elle se pose énormément de questions sur le mariage, envisage d’épouser un homme très religieux qu’elle a rencontré, qui la protègerait, mais elle redoute la polygamie et le manque de liberté de sa vie future avec lui. Elle n’a plus la tête à ses études, ses « pensées partent dans tous les sens ». Alors, elle « prie pour devenir quelqu’un de bien » et « retrouve confiance ».

Passionnant récit autobiographique qui se lit comme un roman, grâce à la suspension de tout jugement et l’écoute bienveillante de l’éditrice, et incite à une ouverture d’esprit et une tolérance dont on a grand besoin.

Voir des extraits sur le site de Raconter la vie