Marcelle Gafner, née Lambert : Ni guerre ni paix, journal et correspondance d’une jeune Lausannoise, septembre 1939 - mai 1945

mardi 3 novembre 2015, par Véronique Leroux-Hugon

Édité par Françoise Fornerod, Charlotte Christeler et Ariane Gualtierotti - Gafner. Éditions d’en bas, 2013 (collection ethno-poche)

Dans ce journal de guerre, tenu par une jeune femme de 23 ans et très soigneusement édité, la question récurrente est celle d’une éventuelle invasion de la Suisse et ses répercussions sur un pays dont les hommes sont mobilisés en septembre 1939, nonobstant la neutralité du pays.

Les éditrices soulignent dans l’introduction que les nouvelles relatées par Marcelle Gafner lui sont fournies par la radio et la Gazette de Lausanne, « quotidien libéral francophile à tendance pétainiste ». Pour préserver l’originalité de ces 3 cahiers et 161 lettres, dont une partie a été sélectionnée par la fille de Marcelle, Françoise Fornerod et Charlotte Christeler se sont refusées à vérifier l’exactitude des dites infos, renforçant ainsi l’authenticité du journal. Marcelle précise en 2013 qu’elle a dès le 1er septembre 39 éprouvé la nécessité de noter tout « Parce que j’ai besoin de rendre ma pensée moins douloureuse en la fixant sur un travail. »

Fiancée à Raymond en octobre 39, Marcelle lui écrit fréquemment des lettres teintées de tendresse et d’humour dès le 5/09 puisqu’il est mobilisé, les extraits de cette correspondance active étant intercalés entre les chroniques régulières.
Comme souvent dans ce type de journal « de guerre », les informations rapportées sont forcément banales, sauf à en noter parfois l’exagération comme celle du 13/06/1940 où Marcelle cite des bruits sur Paris : « odeur de poudre et suffocante odeur de sang provenant des centaines de milliers d’hommes qui agonisent en hurlant à l’aide dans les champs de bataille à l’entrée de la ville… ». Plus paisibles, les lettres rapportent la frénésie du tricot chez ces dames, les lessives de guerre qu’effectue sa mère ou encore, en mars 1940 : « Un arrêté interdit aux élèves des écoles d’emporter chez eux leur atlas géographique contenant des cartes de la Suisse. ». Si Marcelle Gafner cite ces rumeurs avec dérision, on la sent préoccupée de l’avenir incertain, des menaces d’invasion (qui serait « quasi certaine pour les états-majors en début 1941 ») et des difficultés quotidiennes d’un pays en guerre . Raymond, mieux informé, n’en est pas moins pessimiste sur la durée des combats, comme il le redit en juin 1941.

C’est en janvier 1942 que Marcelle et Raymond se marient. A partir de cette année le cahier est tenu moins régulièrement. Dans le livre la moitié du texte porte sur les années 1940-1941, une quarantaine de pages seulement couvrent 1942 à 1945.Les entrées énumèrent rapidement les nouvelles du front et témoignant surtout du profond amour que se portent les époux.

Très heureuse d’être enceinte, Marcelle donne naissance à Catherine Laure le 21 juin 1943 mais ne cache pas son angoisse cependant car, privée maintenant et de radio et de journal, elle n’apprend que peu de chose, sauf que la guerre « s’approche à nouveau de nous » (juillet) et qu’on prévoit le bombardement de Lausanne.
En août 44, elle souligne ironiquement que « les rations alimentaires semble se moquer des optimismes béats qui se multiplient et voient la fin prochaine de la guerre.. », et note en septembre son souhait que le 3ème cahier rempli puisse inclure le jour de la paix.

C’est le 25 juin, dernière entrée, qu’elle annonce la surprise de l’armistice, sans véritable joie tant elle appréhende la suite. Elle a noté auparavant (3/05/1945) que des photos des camps de concentration, vues dans un journal, la hantent.
Document passionnant que ce journal d’une jeune femme, tant il relate banalité et angoisses d’un quotidien de guerre et les questions, tant personnelles que générales, que la situation lui pose dans le contexte d’un pays « neutre ».

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