Grégoire Bouillier : Le coeur ne cède pas

dimanche 4 février 2024, par Michel Stevaert

Ed. Flammarion, 2022. Ed. J’ai Lu (revue et augmentée), 2023

Il y a les autobiographies auto-proclamées et celles qui ne disent pas leur nom, souvent les plus dignes d’intérêt. Grégoire Bouillier a fait très fort dans son dernier ouvrage. Tout au long (912 pages en grand format, 1280 en poche) d’une enquête sur la mort voulue par privation de nourriture de l’ancien mannequin Marcelle Pichon, il sème, tel le petit Poucet, les cailloux de sa propre quête d’identité mais aussi une théorie de réflexions plus intéressantes les unes que les autres qui en disent long sur la culture et les convictions de l’auteur. On n’est pas surpris en lisant les brèves biographies de l’auteur d’apprendre qu’il fut, entre autres aventures d’une vie pas toujours facile, collaborateur d’un magazine scientifique, tant son livre regorge d’informations intéressantes et clairement exprimées, ce qui dénote le vrai bel esprit.

Sinon, le livre emprunte au genre policier pour nous lancer sur les traces de cette femme suicidée et oubliée au point que sa dépouille momifiée ne soit découverte que longtemps après, mais tout autant sur une époque, cette génération de la guerre, mais encore sur celle des Trente (pas vraiment) Glorieuses à laquelle appartient Bouillier. Les avatars choisis par ce dernier, les détectives BMore et Penny, aèrent agréablement le récit par des dialogues souvent enjoués.

Bouillier rejoint notre expérience de ces "accidents" de la vie ("tous les gens à qui il est arrivé "quelque chose" le savent... Avant, ils étaient quelqu’un et après, ils sont quelqu’un d’autre"), auxquels on ne peut résister que par la graphomanie, ce qu’il appelle ses "carnets de folie" avant de passer à l’autobiographie. Jamais on ne peut parler d’auto-fiction ici, seulement d’un fil rouge, la destinée terrible de Marcelle Pichon qui, pas à pas, va l’amener à analyser et mieux accepter ses propres fantômes.

Il faut oser lire Le Cœur ne cède pas  ; de toute façon : passé les premiers chapitres, on est emporté car c’est un livre qui ne peut laisser indifférent. Il y a, dans cet exercice aussi, un avant et un après. C’est un jalon indispensable dans le parcours de tout (grand) lecteur.

N.B. L’informatique, le Net, sont un des moyens utilisés par Grégoire Bouillier ou ses "acolytes" pour leurs recherches. Cerise sur le gâteau, à la fin de la lecture, on peut aller sur le site interactif et revisiter l’enquête, ce qui autorise une relecture enrichissante du livre.