Patrick Pécherot : À cheval sur le vent

samedi 17 février 2024, par Pierre Kobel

Éditions Bruno Doucey, 2024

Les éditions Bruno Doucey ne publient que de la poésie. À l’exception de la collection « Sur le fil » dont chaque titre met un poète au croisement de sa propre histoire et de notre Histoire collective. C’est ce que fait Patrick Pécherot avec le poète breton Xavier Grall. Grall fut longtemps journaliste à La vie catholique au Monde, à Témoignage chrétien. Attaché à sa terre et à son histoire, il se fit le contempteur d’une celtitude moins rageuse que la sienne. Poète, il délivra des textes de très grande beauté dont l’acmé est sans doute le recueil Solo. Né en 1930, il meurt à l’âge de 51 ans après s’être réinstallé avec sa famille en Bretagne.

Patrick Pécherot, connu pour des romans où la mémoire sociale a une place centrale, ressuscite ici Xavier Grall pour mettre en exergue les souvenirs de la guerre d’Algérie de ce dernier. Sous le couvert de son vécu douloureux, le roman laisse entrevoir le drame de ce que fut « La génération du djebel ». 1962, Sarcelles : Xavier Grall, hanté par ce qu’il a vu et subi, s’interroge sur son attitude et ce qu’il aurait pu faire d’autre, à l’instar de l’insoumis Yvon, personnage de fiction qu’invente Pécherot comme un double supposé de lui-même.

Pécherot qui est un auteur de polar n’en a pas oublié la langue pour donner vie à ses personnages. Il en utilise les ressorts pour dire les heures sombres, les atmosphères et les tourments des protagonistes. Dans le même temps, son récit est empreint de poésie pour les décrire.
« À Sarcelles, la pluie tombe sur le Logeco. Elle noie le béton, la dalle et les jeux d’enfants. Elle ne chante pas comme en Bretagne, abreuvant les genêts, gorgeant les pâtures et les chemins creux. Elle finira sur le ciment, prisonnière de flaques miteuses. À Sarcelles, la pluie ne s’attarde ni sur l’ardoise ni sur le granit des rocs. Elle dégringole à la verticale des tours comme une suicidée. »

Ce roman vrai pose les problèmes de l’engagement, du rapport à l’histoire. Il donne la parole à des déshérités de cette dernière tout en rappelant celle de Xavier Grall qui écrivit dans Le cheval couché : « C’est dans la boue et le sang algériens que la France idéale commença de s’effriter sur un piédestal que mes vertes années avaient édifié. Je mis longtemps à sabrer ces trop belles images. Et c’est peut-être une certaine enfance que j’extirpais de mon cœur. Dans la rage et le chagrin. Je lui substituais une enfance bretonne à découvrir, à dire, à proclamer. Si lucide soit-il, l’autonomisme ne va pas sans une réelle innocence. J’abandonnais la souveraineté de la méthode et la mesure du classicisme pour m’en venir, aux origines, aux signes, aux sens. Il faisait beau sur Paris, ce jour de juillet, quand je quittais la capitale pour toujours, avec ma femme, mes enfants, le chien, les bagages. (…) Au fait, j’allais à la poésie corps et âme. Métamorphose ! La quarantaine, c’est l’âge. Il était temps. J’allais à la mer… »