Adrien Maeght : Dans la lumière des peintres. une vie avec Bonnard, Matisse, Miro, Chagall...

jeudi 26 septembre 2019, par Elisabeth Gillet-Perrot

Ed. JC Lattès, 2019

Né en 1930, Adrien Maeght se décide, pour notre plus grand bonheur à publier ses souvenirs. Dès le préambule, il nous fait partager le discours prononcé par André Malraux à l’inauguration de la Fondation créée par ses parents, Aimé et Marguerite, à Saint-Paul-de-Vence : « Ceci n’est pas un musée... Mais ici est tenté quelque chose qu’on n’a jamais tenté : créer l’univers, créer instinctivement et par l’amour l’univers dans lequel l’art moderne pourrait trouver à la fois sa place et cet arrière-monde qui s’est appelé jadis le surnaturel... Il s’est passé ce soir ici quelque chose dans l’histoire de l’esprit. » Et en effet, j’ai visité cette Fondation en 1964 (à l’ouverture) et en 2018 et, par deux fois, j’en ai été transportée.

Dès l’origine, Aimé et Marguerite Maeght savent repérer les grands peintres qui leur font d’emblée confiance et dont ils vont vite se faire des amis : Braque, Miro, Bonnard, Chagall. Adrien Maeght nous expose les points de discorde entre Georges Braque et Pablo Picasso à propos de la paternité du cubisme avec une clarté lumineuse. Les anecdotes qu’il rapporte sont si vivantes qu’on croirait les recueillir de sa bouche. « Je livre aujourd’hui les souvenirs d’un homme et d’une famille qui ont eu la chance inestimable de vivre au plus près de ces êtres extraordinaires. Je veux aussi témoigner d’une époque, malheureusement révolue, où l’art n’avait pas encore été submergé par la spéculation financière et la fabrication d’objets « marketés » à destination d’un marché. »

Il ne nous cache pas combien il a été difficile pour lui d’installer sa propre galerie. Après s’être fâché avec son père, que de tourments ils ont vécus sa femme et lui. « Du jour au lendemain, notre vie a changé. Je devais désormais voler de mes propres ailes. Dans l’esprit de mon père, il ne pouvait exister qu’un seul Maeght auprès des artistes. »

Une de mes anecdotes préférées est la suivante rapportée au moment de l’achat de leur galerie quand Aimé s’est séparé de son fils : « C’est ainsi que nous avons dû nous résoudre, Paule et moi, à vendre le petit tableau que Marc Chagall nous avait offert pour notre mariage. Il fut acheté par M. Dreyfus, propriétaire de plusieurs Monoprix. – Monsieur Dreyfus, j’ai un souci. Le Chagall que je vous ai vendu, il faudrait que je le récupère. J’ai besoin de le faire photographier pour un catalogue. » En fait, les Chagall venaient dîner chez eux et ils allaient s‘apercevoir que le petit tableau manquait au mur ! M. Dreyfus le prêta volontiers mais il leur fallut recommencer le manège « Le premier cliché n’était pas très bon... ». « Quinze ans plus tard, j’ai fini par avouer l’affaire au peintre qui fit mine de s’en amuser. Alberto Giacometti, en revanche, n’avait pas du tout été choqué quand je lui avais expliqué que pour acheter la galerie j’avais dû vendre le plâtre qu’il nous avait offert pour notre mariage : tu as très bien fait, me dit-il. »

Dans ce livre qui se lit comme un roman, Adrien Maeght réussit à mêler à son autobiographie l’histoire très originale de la Fondation créée par ses parents à Saint-Paul-de-Vence tout comme quasiment un siècle de l’histoire de l’art et de ses acteurs les plus marquants.