Andrée Job-Querzola : Bienvenue chez vous

vendredi 8 janvier 2016, par Françoise Lott

éditions L’Attrape Science, 2015, préface de Leïla Sebbar

Aucun goût pour la photo, dit la narratrice, aucun goût pour les pèlerinages ni les regrets non plus. Cependant, poussée par son frère qui ne peut l’accompagner, elle place des appareils à photo dans son sac. Puis, dès le pied posé en Algérie, elle se laisse envahir par ses souvenirs ; ou, plutôt, chaque étape du retour dans son pays natal est marquée par une confrontation entre ce qu’elle voit et ce qu’elle a vu, petite fille puis jeune fille, pendant 17 ans.

Beaucoup de lieux publics semblent avoir fermé les yeux sur son passé : les hôtels où sa mère autrefois a dansé ont portes et fenêtres closes. Le théâtre est fermé, le cinéma Vox aussi, et fermé l’Olympia, dont elle conserve de si vivants souvenirs. Le château Faraoun, en ruine, a perdu ses deux lévriers hiératiques et son mystère. L’école des sœurs Trinitaires est devenue une école musulmane pour filles. Andrée cherchait des « fenêtres ouvertes sur des éclats de vie », et elle voit « des maisons mortes ». L’exode rural, les habitations surpeuplées, la poigne des « barbus » qui n’aimaient pas « le cinéma, la musique, les femmes au balcon », dans les années 1990, expliquent sans doute en partie ce troublant silence.

Mais la narratrice a cette jeune vitalité qui la pousse à faire parler les pierres, les paysages, les hommes. « À travers la vitre, je remonte le temps, je me sens bien ». dit-elle dans le car qui la conduit de l’aéroport à sa ville natale, Sidi Bel Abbes. Les charrettes pleines de poissons, de melons, de pastèques, de tomates et de piments, sont sous ses yeux comme autrefois. Certes, l’Imam, dont la mosquée coiffe et cache l’église où elle a fait sa première communion, lui déclare : « Nos mosquées sont pleines, alors que chez vous, ce sont les prisons qui débordent », elle visite avec lui son jardin potager, qu’il cultive comme un curé de campagne balzacien. On lui ouvre courtoisement la porte de ce qui fut la maison familiale, peuplée autrefois d’oncles, tantes, cousins, et maintenant divisée en multiples petits logements. Ce sont les jeux de son enfance et de celle de son frère qu’elle évoque : les osselets sur le carrelage toujours lavé de frais, les billes, Irène au piano, et les chants qu’aimait tant la famille maternelle, d’origine andalouse. Plaisir encore d’avoir pu, un instant, dans le parc du « Petit Vichy » en piteux état, retrouver les cachettes de son enfance. Dans le cimetière laissé à l’abandon, où elle photographie la tombe familiale, elle aime le charme de la végétation devenue sauvage.

Ce passé devenu si présent doit assurément sa force à l’accueil que tous lui ont fait. D’anciens élèves de son père, qui était instituteur, lui disent avoir conservé l’amour de la langue qu’il leur a enseignée et lui confie un cadeau pour sa femme. Elle est entourée de paroles chaleureuses « Soyez les bienvenus chez vous ! », « Revenez ! Revenez ! ». Et la magie des repas savoureux, parfumés, donne tout son poids à cette généreuse hospitalité.
Voilà pourquoi, de retour à Paris, comme les cigognes qui chaque année survolent l’une et l’autre rive de la Méditerranée, Andrée se prend à rêver d’une maison sur la corniche d’Oran.