Anna Iuso (sous la dir. de) : La face cachée de l’autobiographie

lundi 25 juin 2012, par Bernard Massip

Garae Hésiode, 2011

Lorsqu’on parle d’autobiographie on pense à des productions individuelles et spontanées, issues de la libre « prise d’écriture » des auteurs qui s’y consacrent. Ce volume, regroupant une série d’études réunies par Anna Iuso, se penche sur les cas, plus fréquents qu’on ne croit, où la production autobiographique résulte d’une injonction plus ou moins appuyée, depuis la simple invitation ou suggestion jusqu’à la demande institutionnelle impérative.

Les champs explorés sont nombreux et variés nous promenant entre le siècle d’or espagnol, l’époque des Lumières et le 20e siècle, entre autobiographies spirituelles ou intellectuelles, entre récits de vie demandés dans la perspective d’enquêtes ethnographiques ou culturelles, entre production à visée de contrôle social ou d’accompagnement de processus thérapeutique.

Au-delà des contextes historiques et culturels très variés de ces entreprises, au-delà des dispositifs et des pratiques mis en œuvre et finement analysés par les auteurs des études, apparaissent quelques traits communs.

Ces textes ne peuvent être lus sans prendre en compte les conditions particulières de leur production. Ils se situent de fait dans une forme de dialogue obligé et inégalitaire avec l’instance incitatrice. Ils doivent se conformer ou tenter de se conformer aux attentes des auteurs de l’injonction, voire produire un récit susceptible d’avoir pour ceux qui écrivent des conséquences positives. Ces effets, évidents lorsque la contrainte est forte, existent aussi dans le cas d’injonctions bien plus douces : Anna Iuso montre ainsi que l’invitation à l’écriture autobiographique, sous forme de concours, utilisée par nos amis de l’Archivio de Pieve San Stefano, influe sur la nature des textes reçus. Ils tendent en effet, au moins pour une partie d’entre eux, à se conformer à certains modèles, induits par le style et la tonalité des ouvrages primés au cours des années antérieures.

L’important, cependant, est ailleurs. L’injonction, aussi cadrée, aussi fermée, soit-elle, déclenche une dynamique. Elle valide et donne reconnaissance à la prise d’écriture de personnes qui n’étaient pas censées écrire. C’est le cas particulièrement pour les femmes et plus généralement pour toutes les personnes ordinaires. Ainsi, malgré leur cadre contraint, les autobiographies des nonnes espagnoles du XVIIè constituent une appropriation d’une prérogative jusque là essentiellement masculine. Les correspondants de Camille Flammarion le remercient d’avoir déclenché leur récit de vie comme les femmes internées en sont reconnaissantes à leur médecin : demander et accueillir l’autobiographie c’est reconnaître l’écriture, mais, au-delà, c’est reconnaître et donner une justification à la personne et à son histoire. Les textes produits bien souvent débordent ce qui pouvait être attendu d’eux parce qu’une subjectivité s’y découvre, s’y engouffre, s’y construit.

L’amateur d’autobiographie doit certes ne pas oublier les déformations induites par ces injonctions sources, mais il doit aussi être reconnaissant devant les territoires nouveaux qu’elles ouvrent à l’expression de soi.

Vous pourrez lire une version plus développée de cet article dans le numéro 61 de La Faute à Rousseau d’octobre 2012.