Annemarie Trekker : Des femmes "s"écrivent. Enjeux d’une identité narrative

mercredi 4 novembre 2009, par Nicole Versailles

L’harmattan Histoire de vie et formation, 2009

Pourquoi choisir l’écriture, qui suppose un travail long et solitaire, pour entreprendre un récit de vie ? Pourquoi « s’ » écrire, décider de garder une trace écrite de son histoire ?

C’est à cette question qu’Annemarie Trekker tente de répondre dans ce livre très documenté tant du point de vue de l’histoire de l’écriture et de l’autobiographie littéraire que des sciences humaines et sociales mais aussi de la philosophie du « sujet » et de « l’identité », tout en interrogeant l’expérience très concrète de six auteures d’un récit de vie écrit, édité (ou reproduit) puis diffusé. La question du genre et de l’écriture de soi au féminin est donc présente en filigrane tout au long de cet ouvrage.

Les pistes de réflexions sont nombreuses et fouillées : elles vont de l’histoire de l’écriture, (cette écriture dont se sont emparées les femmes aussi, alors même qu’elle a été depuis l’origine et durant fort longtemps épinglée comme dangereuse pour elles à cause du risque d’accéder à une liberté de penser par soi-même), en passant par la littérature (et l’auteur passe en revue un certain nombre d’auteurs, précurseurs du récit autobiographique), la philosophie, les sciences humaines et sociales (l’auteur se réfère à des sociologues et des philosophes), pour tenter de cerner le pourquoi et le comment de cette démarche de mise en œuvre d’un récit de type autobiographique.

Le point commun chez les six auteures qu’interroge Annemarie Trekker, c’est de vouloir rencontrer leur JE d’aujourd’hui, dans sa vérité d’aujourd’hui, pas complète sans doute, et qui pourra bien sûr évoluer demain. Un JE dont l’histoire prend sens à mesure que l’écriture le tisse par la mise en intrigue des événements et ressentis relatés. Un Je qui se construit ainsi en Sujet dans son rapport à soi et aux autres.

Puis l’auteur détaille la démarche originale et les motivations de chacune :
désir de transmission, qui peut s’approfondir par une recherche généalogique. Désir de clarification, de mise en ordre d’une histoire familiale chaotique ou douloureuse. L’expression du soi avec ses retombées relationnelles qui, du personnel va rejoindre l’universel des lecteurs. Désir de faire œuvre littéraire dont on peut se sentir fière. Enfin travail réflexif que permet la médiation par l’écriture dans son invitation à une mise à distance ainsi qu’une mise en lien et en forme des événements.

Par la prise de distance que écrire suppose, tant par rapport à soi-même (il faut prendre le temps de la réflexion) que par rapport aux autres (on écrit dans la solitude), on prend la responsabilité de ce qu’on écrit, dans une attitude de dignité et de réflexion, et non défensive ou combative. Ce qui du coup, ouvre au récit la porte du lien à autrui, par la résonance qu’il suscite en lui. Ce qui, souligne l’auteur, n’exclut pas des réactions d’indifférence ou même de rejet de la part des plus proches, heurtés par la démarche.

Si on manque de temps pour se plonger dans ce livre très dense, la conclusion de l’auteur est un parfait résumé, clair, précis et circonstancié de son livre.

Bref un livre à lire pour qui s’interroge sur cette démarche du récit de vie, parfois considérée par certains comme narcissique, ou comme une littérature de seconde zone, par rapport au roman.