Annette Wieviorka : Mes années chinoises

vendredi 7 mai 2021, par Martine Lévy

Stock, 2021

Je suis le parcours d’Annette Wieviorka depuis des années : historienne de la Shoah, après un passage par la Chine de Mao, elle s’intéresse à sa propre histoire. Il était rare jusque là qu’un.e historien.ne se raconte (j’arrête là ma tentative d’écriture inclusive !). Ils se méfiaient des témoignages oraux, comme j’ai pu m’en apercevoir durant ma carrière d’éditrice. Heureusement, les choses ont changé et les historiens n’hésitent plus à admettre qu’ils ont eux aussi une histoire.

Dans ce livre, Annette Wieworka raconte ses années de militantisme maoïste fervent. Après un 1er voyage en Chine en 1970, elle repart en 1974 avec son mari Roland, maoïste comme elle, et leur fils Olivier qui avait 3 ans et demi, travailler, et comprendre la Révolution de l’intérieur. Elle enseignera le français aux étudiants.
On lit toutes les contradictions d’une militante en quête de l’homme nouveau face à la réalité quotidienne chinoise, à l’oppression, aux inégalités, à la surveillance constante, aux absurdités des phrases toutes faites… Il y a des passages savoureux, comme celui où elle réalise que son fils n’est pas dupe de ce collectivisme. Mais malgré la découverte de la réalité maoïste, l’auteur nous montre aussi son attirance – l’amour rend aveugle - pour ce pays et la joie qu’elle a éprouvée lors de la Révolution culturelle à travailler dans une filature et à donner des cours de français aux ouvriers-étudiants. A y être, à participer à l’utopie.

Elle retourne dans ce récit sur les lieux où elle a vécu (je me suis un peu perdue dans les différents voyages) et se remémore cette période « dont elle chérit le souvenir ». Ce récit d’une historienne, d’une militante maoïste est aussi l’histoire d’une erreur d’aiguillage – « Ai-je voulu devenir une autre ? » – qui mènera à une vie fertile en passant par la dépression à son retour. En effet, en rentrant en France, sa propre histoire la rattrapera : « petite-fille de victime d’un régime totalitaire, j’ai été complice d’un autre totalitarisme ». Et elle consacrera sa vie à l’histoire de la Shoah. Mais ceci est une autre histoire.

Sa problématique personnelle fait écho à celle de toute une génération : le passage en 20 ans du « nous » militant, engagé, révolutionnaire, utopiste pour le « je » de qui suis-je, quelle est mon histoire ? Thème universel…