Annie Ernaux : Écrire la vie

mardi 25 octobre 2011, par Philippe Lejeune

Gallimard, Quarto, 2011

Écrire la vie, et non sa vie : le titre choisi pour le regroupement en « Quarto » des principales œuvres d’Annie Ernaux souligne la dimension anthropologique de son œuvre autobiographique. L’ordre du volume prend aussi des libertés avec l’ordre de publication pour recomposer plus ou moins les étapes d’une vie humaine. Certains textes ont été laissés de côté (Ce qu’ils disent ou rien, La Vie extérieure, L’Usage de la photo), en revanche une douzaine de textes brefs, parus en revue, viennent harmoniser et éclairer le parcours, croquis, nouvelles, hommages (Pavese, Bourdieu). On a plaisir à circuler dans cette recomposition, sans doute provisoire, d’une œuvre si vivante.

Un « Quarto », c’est le contraire d’une Pléiade : populaire (par son prix, 25 €), souple sous la main, agréable à l’œil (typographie aérée), libre de tout discours critique : personne ne s’interpose entre Annie Ernaux et nous. Au contraire une introduction qu’elle a composée nous met en contact avec l’auteur sans la réduire au côté documentaire d’une biographie, dans le jeu vivant d’un album photographique feuilleté à la lumière d’une relecture de son journal inédit. Les cent premières pages construisent une sorte de « pendant » autobiographique aux Années. Rien d’une « illustration » : les photos dessinent certes l’itinéraire d’une vie, insistant sur les origines et les années de formation, mais elles sont mises en résonance avec des passages du journal inédit qui n’en sont pas le commentaire. Ces citations ouvrent peut-être les chemins d’œuvres à venir, et font fi du temps. Quand, avec l’accompagnement subliminaire du cahier photo, on enchaîne leur lecture, on se trouve pris dans le mouvement d’un texte aussi vertigineux que Le Temps immobile de Claude Mauriac. N’en donne-t-elle pas elle-même le programme dans ce passage daté d’août 1988 ? « Ce journal que j’écris depuis 1957, conservé depuis 1963 (cette douleur d’avoir constaté que ma mère avait brûlé 6 ans de journal, 57-63, les années clé), me donne l’impression d’une faible durée, au fond je pourrais placer – j’imagine à tort ? – un passage de 78 dans 67, un de 65 en 88, y aurait-il une grande différence, une distorsion ? Rien ne rend autant la permanence du moi que le journal, il ne fait pas histoire ».