Annie Ernaux : Les années

vendredi 15 février 2008, par Anne Brasier

Gallimard, 2008

Nombre d’Apaïstes ont lu déjà ou vont lire Les Années qui a reçu dès sa parution les éloges de la presse. Le Monde notamment a salué ce « roman total » où Annie Ernaux « rassemble de façon magistrale toutes ses mémoires. »

On ne peut qu’admirer, en effet, la mise en œuvre parfaite du projet défini avec précision dans les dernières pages : « saisir cette durée qui constitue son passage sur la terre à une époque donnée, ce temps qui l’a traversée, ce monde qu’elle a enregistré rien qu’en vivant », écarter la remémoration pour retrouver le monde, « saisir le changement des idées, des croyances et de la sensibilité ».

Cette réussite est due principalement à l’originalité de l’écriture : choix d’un « imparfait continu, absolu » ; refus du « je » ; utilisation de « on » et « nous » ; ancrage sur des photos ou des bribes de films ; importance des langages correspondant à des milieux, des moments, des modes. Annie Ernaux s’accomplit ici en tant qu’écrivain et le vœu qui clôt son livre : « sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais » devrait être exaucé.

Quelques réserves subjectives - peut-on se les permettre ?- d’une femme née aussi en 1940, issue d’un milieu modeste et ayant eu après ses études à peu près le même parcours professionnel, la notoriété en moins. Chez Annie Ernaux, une totale perméabilité, une porosité à l’air du temps, non seulement aux événements politiques mais aussi aux manières de vivre, de penser, aux modes adoptées par une petite frange de la bourgeoisie intellectuelle, semblent avoir amoindri l’esprit critique et la réflexion distanciée que l’on aurait pu attendre. Pourtant, toutes les femmes de cette génération n’ont pas été obnubilées par la sexualité et les combats féministes ; toutes n’ont pas adopté les comportements et les idées politiques véhiculées par quelques magazines féminins, journaux ou hebdomadaires « de gauche », films ou émissions de télévision. En d’autres termes, Les Années me paraissent trop systématiquement illustrer les déterminismes mis en exergue par quelques sociologues, au détriment de la sensibilité, de l’affectivité et des idées personnelles…

(Voir une note de lecture plus développée, par Bernard Massip, dans le numéro 48, Juin 2008 de La Faute à Rousseau.)