Anonyme : Une femme à Berlin

vendredi 14 mars 2008, par Bernard Massip

Gallimard folio, 2007

Journal intime d’une femme tenu pendant les semaines qui précédent et qui suivent l’entrée des Russes à Berlin, ce texte est d’abord un document riche d’informations sur la vie quotidienne dans une ville à demi détruite en guerre puis envahie, qui est « comme retournée à la préhistoire » : la vie dans les caves, les communautés qui s’y constituent, la faim omniprésente, les rapports avec les Russes entrés dans la ville et notamment les viols nombreux que les femmes ont dû subir, les ruses pour tenter d’y échapper, le déblayage des ruines, les débuts très lents d’une réorganisation une fois la capitulation effectuée, les premières promenades dans le « cadavre de Berlin » pour retrouver des amis habitants d’autres quartiers, le travail de force au profit des Russes pour obtenir quelques rations de nourriture supplémentaires.

Mais au-delà de cet aspect descriptif, l’auteure se pose aussi à elle-même avec la plus grande franchise des questions sur sa propre attitude et nous livre les réflexions que la situation lui inspire qui remettent en cause bien des évidences de la morale admise, des relations de classe ou des relations entre les sexes. Après les viols sauvages par des soudards, elle accepte quasi volontairement d’être « au service » d’un officier puis d’un second à l’égard duquel elle finira par ressentir une forme de tendresse. Est-ce immoral de s’être donné un protecteur, « un loup qui chasse les autres loups » et qui, de plus, pourvoit au ravitaillement ? « Suis-je une putain ou pas ? » « Mais après tout les putains sont-elles si peu recommandables ? » . C’est que se manifeste aussi au travers de la situation une solidarité de femmes qui commencent à discuter entre elles sans tabou de tout y compris des viols et de l’attitude des hommes dont les valeurs ont conduit l’Allemagne au nazisme et à la guerre et se révèlent, pour le peu qui restent, bien peu dotés de sens pratique dans l’organisation de la survie quotidienne. « A la fin de cette guerre il y aura aussi la défaite des hommes en tant que sexe ».

Le texte est bien écrit, d’une plume alerte, vivante, concrète, parfois non dénuée d’humour malgré la dureté des situations évoquées. Les descriptions alternent avec des moments d’évocation de la jeunesse et de la vie passée de l’auteure qui introduisent une respiration par rapport à l’étouffant présent et approfondissent l’image que l’on peut se faire de cette femme remarquable.

Je vous recommande la lecture de ce livre à la fois terrible par ce qu’il décrit et d’une certaine façon lumineux par la personnalité de la rédactrice, par la force de vie qu’elle affirme dans tous ses actes, y compris dans sa façon de mettre en mots ce qui pourrait sembler indicible. Sans doute l’écriture de son journal a-t-elle été aussi pour elle le moyen de survivre moralement.