Alice Doyard et Anthony Guiacchino : Colette, une résistante française

vendredi 30 avril 2021, par Claire Cassagne

Court métrage documentaire, 2021

Après avoir écrit et posté ici le compte-rendu du livre de Max Dutillieux sur le camp de Dora, j’ai appris qu’un documentaire avait été tourné sur ce camp. Il s’agit du voyage d’une ancienne résistante de 90 ans, Colette Marin-Catherine, sur les traces de son frère aîné Jean-Pierre, mort à 19 ans dans ce camp en 1945, après y avoir passé deux ans. Elle est accompagnée dans ce voyage par une jeune étudiante en histoire, Lucie Foulbe, 17 ans, qui participait bénévolement à l’écriture d’un Dictionnaire biographique des 9000 déportés français de Dora- Mittelbaum au moment où le projet de ce film est né. Il vient d’obtenir l’Oscar 2021 des courts métrages documentaires.

Colette n’avait jamais accepté de se prêter à ce qu’elle appelle le « tourisme morbide », mais la lecture des écrits de Lucie la décide : « Si je n’avais pas vu ton travail je ne serais pas venue, c’est tout ». Celle-ci, qui vit à St Omer, vient donc la rencontrer à Caen et on les suit au cours du périple qui les conduit en Allemagne, jusqu’au camp.

Entre elles se tisse une relation très forte – dès le début Colette appelle Lucie « ma petite fille » - qui permet un partage de l’intensité émotionnelle des moments les plus difficiles, qui permet à Colette de raconter avec sincérité ses souvenirs familiaux, mais aussi à Lucie cette plongée à deux dans un passé éprouvant. Colette est une femme extrêmement solide malgré son âge, on le sent, dont le franc-parler et l’humour lui permettent de dire les choses comme elles sont.

Qu’elle parle de sa famille, de ce qui la liait à son frère qui était « un génie alors que j’étais un peu idiote », de trois ans son aîné, et dont elle dit qu’elle n’était pas vraiment proche, ou de son rôle dans la Résistance, elle n’enjolive, ne dramatise jamais. On sent quelques blessures : la mère si forte et courageuse, qui a perdu son père et deux frères en 14-18, et à qui échappe cette phrase à propos de l’arrestation d’un fils qui lui ressemblait tant : « Quand je pense que ça n’a pas été toi ! » - phrase oubliée sûrement aussitôt par elle, mais pas par l’adolescente à qui elle a été dite. Elle remet à sa place l’héroïsme : « Quand vous entrez dans la guerre, vous vous rendez compte que vous n’avez pas le temps de ressentir quoique ce soit ». « On n’entre pas dans la Résistance comme on entre dans une banque pour ouvrir un compte de résistant, on fait parce qu’on n’a pas le choix ». « Noter des numéros de camion assise sous un porche, tu parles d’une héroïsme ! J’étais une gamine. Mon frère collectait les armes. »

Le voyage en train jusqu’en Allemagne est le moment de certaines confidences, le moment aussi où Colette lit la fiche biographique rédigée par Lucie sur son frère. On assiste à une réception, au cours de laquelle le major du camp de Nordhausen (où est passé Jean Pierre) tente d’exprimer la culpabilité qu’il partage, le poids de ce passé sur sa propre enfance, et où il est interrompu avec force par Colette submergée d’émotion. Enfin les deux femmes arrivent à Dora et commencent le trajet, qui les conduira au Block 17 où se trouvait Jean Pierre, au tunnel creusé dans la colline où rouillent les carcasses des V2, puis enfin au crématorium. La caméra les suit dans une nature très belle, lumineuse et paisible. Dans chaque lieu, Colette trouve des mots hésitants pour dire son ressenti, elle vacille par moments et Lucie et elle partagent les larmes qu’elle a si longtemps retenues : « Je suis réputée pour ne jamais pleurer, comment voudrais-tu que je pleure devant des étrangers ? ».

La douleur d’avoir oublié d’apporter des fleurs, la bague que Colette donne à Lucie à la fin du film, bague fabriquée par Jean Pierre à 13 ans pour leur mère et non terminée, dernier objet qu’elle garde de lui, font sentir l’importance des objets de la transmission : Colette dit à Lucie : « quand tu seras centenaire, tu diras : « J’y étais ».

Le film est en libre accès sur le site du quotidien britannique The Guardian

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