Un colloque sur la collecte des archives de femmes

vendredi 10 mars 2017, par Élizabeth Legros Chapuis, Véronique Leroux-Hugon

Le 8 mars 2017, Journée des Droits des Femmes, les Archives Nationales ont organisé une matinée de réflexion et d’échanges sur la collecte des archives de femmes.

Cette manifestation s’inscrivait dans le contexte de la préparation de la « Grande collecte » qui sera lancée en novembre 2017 par le ministère de la Culture et de la Communication autour de la place des femmes dans la société française. Le thème fédérateur retenu pour cette première Grande collecte d’archives de femmes est « le travail », compris dans un sens large : intellectuel, manuel, domestique.

La première table ronde s’intitulait « Donner, déposer, transmettre » et faisait intervenir des donatrices aussi prestigieuses que Catherine Dolto, pour les archives de sa mère Françoise, Hélène Cixous et Françoise Héritier pour leurs propres archives, ainsi que Noëlle Gérôme et Teri Wehn Damisch, la première, ethnologue, ayant fait un don aux Archives du Monde du Travail à Roubaix, la seconde, productrice et réalisatrice, à l’INA. La table ronde se terminait sur l’évocation, grâce à un court-métrage, d’un personnage étonnant : Monique Hervo, militante engagée au côté des immigrés algériens, ayant vécu dans le bidonville de la Folie à Nanterre, a réparti ses archives entre les Archives nationales, la BDIC et l’IHTP.

On est frappé en écoutant ces femmes de la concordance des questions qui se sont posées, avec les interrogations récurrentes formulées, à notre échelle, à l’APA.

Les trois premiers témoignages, émanant de personnalités marquantes, étaient particulièrement émouvants. Émotion de Catherine Dolto découvrant le très riche univers archivistique qu’avait constitué sa mère, le classant et organisant pendant 20 ans des colloques autour de cet univers, puis décidant de confier ce fonds aux Archives Nationales.

Avec la magnifique langue qui est la sienne, l’écrivaine Hélène Cixous a fait part de ce sentiment d’étrangeté (le mot est faible) à donner ses archives de son vivant. Elle se dit « être née archives », avoir un rapport vital à la mémoire, avoir un rapport très fort au(x) manuscrit(s). Elle rappelle, par rapport à ses deux enfants, la notion d’ayant-droit mais aussi d’ayant-devoir, cette impression d’être posthume de son vivant, voire d’être enterrée vivante, elle évoque même une expérience de mort et de survie.

Autre sentiment troublant, exprimé cette fois par Françoise Héritier, qui dit avoir pris un jour conscience de fabriquer des archives, d’avoir pris une épaisseur historique. Ses très riches archives représentent un capital scientifique, comme elle le réalise quand on l’interroge sur une sauvegarde nécessaire (au sens informatique du terme). Au final, ce sont environ 60 mètres linéaires d’archives, données de terrain, photos, dossiers d’analyse, qui sont transférés aux Archives Nationales. En transmettant ce trésor à l’État à qui elle doit sa formation, Françoise Héritier affirme avec allégresse transmettre aussi les joies de son métier.

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La seconde partie de la matinée avait pour objectif de faire connaître au public, de manière concrète, les institutions concernées par ce projet de collecte des archives de femmes. Leurs représentant(e)s ont ainsi été invité(e)s à donner des exemples d’archives déjà déposées et d’évoquer les conditions de leur dépôt.

Christine Bard, professeur à l’Université d’Angers et présidente du Centre des Archives du Féminisme, a ainsi rappelé le fonds d’archives de Cécile Brunschvicg, l’une des trois femmes ministres du Front Populaire. Ce fonds qui a miraculeusement traversé la 2e Guerre mondiale fait partie des archives d’institutions et de particuliers français, pillées par les Allemands durant l’Occupation, puis récupérées en 1945 par les Russes, qui les ont considérées comme des réparations de guerre et les ont conservées à Moscou jusqu’en 2000. Il a rejoint alors les collections du CAF à Angers.

Hélène Fleckinger et Nadja Ringart ont présenté le projet Bobines féministes, qui est à la fois un web-documentaire et une plate-forme de ressources numériques, élaboré par le Labex Arts H2H de l’Université Paris 8 (Saint-Denis). Ce programme s’attache à collecter, analyser et valoriser les documents relatifs au Mouvement de Libération des Femmes (MLF) qui s’est développé en France dans la foulée de mai 68.

Cristina Ion a exposé la politique de recherche et de collecte de la BnF en ce qui concerne les archives du Web. La BnF a été chargée de ce rôle en 2006, conjointement avec l’INA, le but étant de constituer des archives Internet cohérentes pour les historiens du futur. Sur le féminisme, plusieurs centaines de sites ont déjà été répertoriés par la BnF et la contribution de la bibliothèque à la Grande collecte de fin 2017 sera purement numérique.

Véronique Leroux-Hugon a rappelé le rôle de l’APA, association « artisanale », en matière de collecte, de conservation et de valorisation des archives privées. Un exemple significatif a été le dépôt – dès les premières années d’existence de l’association – du récit de vie de Christiane Buret-Cohen, véritable « mausolée » dressé à sa famille à travers deux volumes totalisant quelque 900 pages. Ce récit a demandé à son auteur quatre ans de travail à partir d’archives familiales retrouvées en 1963.

Annie Metz, conservatrice de la Bibliothèque Marguerite Durand, a souligné que cette institution est l’une des plus anciennes collections d’archives de femmes, fondée en 1932 pour recevoir la donation de la journaliste et militante féministe Marguerite Durand à la ville de Paris. Elle s’est souvenue des archives de Marie-Amélie Quivogne de Montifaud, dite Marc de Montifaud, une personnalité très originale, femme écrivain anticléricale de la fin du 19e siècle, considérée en son temps comme pornographe. Les parcours des archives sont souvent hasardeux : les papiers de Marc de Montifaud, conservés par son fils, ont été transmis par lui à un camarade de la guerre 1914-18 et c’est la fille de cet ami qui, à l’âge de 95 ans, en a fait dépôt à la bibliothèque.

Enfin Anne-Marie Pavillard a expliqué l’objectif de la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (BDIC) de Nanterre, qui collecte les traces de l’histoire en train de s’écrire et reçoit des documents de toute nature. Cette bibliothèque dispose notamment des fonds d’archives, réunis par d’anciennes résistantes et déportées, donnés en 2000 par Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente de leur association.

Chaque cas de figure est différent, chacun révèle une trajectoire humaine ; tous font partie de notre patrimoine commun et c’est ainsi qu’ils nous touchent.