Arnaud Genon et Laurent Herrou : L’inconfort du Je

mercredi 2 août 2017, par Élizabeth Legros Chapuis

Dans le cadre du colloque Les Enjeux de la chair dans les écritures autofictionnelles, tenu en septembre 2015 à l’ENS de Paris, Arnaud Genon avait présenté une communication sur le travail de Laurent Herrou, auteur de six livres parus chez Jacques Flament. Leur collaboration a ouvert la voie à un dialogue amical sur l’écriture de soi, L’Inconfort du Je.

Ce petit volume qui aborde le sujet par un échange de lettres entre les deux auteurs se poursuit avec un dialogue comportant trois parties : Journal, Autofiction, Les Autres, et permettant de considérer l’écriture de soi sous divers prismes, à travers les pratiques mises en œuvre et les textes auxquels on aboutit. De nombreux auteurs contemporains sont convoqués en référence, selon que l’aspect de l’écriture s’inscrit en parallèle ou en contraste avec leur travail : Hervé Guibert (sur qui Arnaud Genon a déjà beaucoup publié), Christine Angot, Mathieu Simonet, Camille Laurens, Guillaume Dustan (qui avait « révélé » Laurent Herrou).

Le journal intime, avance Arnaud Genon, représente peut-être « l’écriture de soi la plus forte », en parallèle avec la lettre « qui serait une forme dialoguée du journal ». Le livre évoque l’expérience menée par Laurent Herrou – ainsi que trois autres auteurs – avec son éditeur, Jacques Flament, et justement dénommée par eux « Labo » : il s’agissait de mettre en ligne quotidiennement les textes de leur journal. Textes qui ont donné lieu par la suite, dans le cas de Herrou du moins, à des publications « papier ».

Les deux amis s’interrogent mutuellement sur la question de la distance, ou du manque de distance, qui caractérise l’écriture d’un journal. L’utilisation d’un tu à la place du je pouvant être une forme de réponse à ce difficile positionnement. Ils semblent s’accorder pour penser que le journal « peut tout dire », qu’il n’a pas de limites. Ici la notion de fiction s’invite dans le débat, à partir du point où Laurent Herrou affirme que « le journal, ce serait une autre vie à l’intérieur de sa propre vie, ce serait une infinité de vies ». De fait, lui-même introduit par exemple dans son journal un personnage fictif dénommé Nina Myers auquel il s’identifie. Le journal, dit Arnaud Genon, devient ainsi « un lieu où le réel se confronte à son double fictionnel ».

La partie intitulée Autofiction s’ouvre sur une description de l’état des lieux par Genon, qui en élabore une définition : « une autobiographie consciente de son impossibilité, une autofraction, c’est-à-dire une tentative de se saisir, et donc d’être, alors que ne sont capturés que les éclats disséminés d’un moi illisible, car illusoire. » Cette notion de « construction fragmentée de l’identité » se retrouve également chez Herrou, quand il estime que l’autofiction lui permet « d’embrasser cette pluralité ». Ce dernier analyse alors plusieurs de ses livres (Vice de forme, Femme qui marche, Laura) pour situer la place de la fiction dans son travail. Place qui est également observée dans les livres d’auteurs comme Camille Laurens, Guillaume Dustan, Lionel Duroy.

Enfin la dernière partie regroupe sous le titre Les Autres à la fois l’implication souvent conflictuelle des proches d’un écrivain dans son écriture autofictionnelle (Serge Doubrovsky est évoqué) et les occurrences d’intertextualité qui se présentent dans le travail de Laurent Herrou. Celui-ci, dont l’écriture est également nourrie par le cinéma – notamment les films de David Lynch – mentionne Virginia Woolf, mais aussi des auteurs actuels : Kirsty Gunn, Margaret Atwood, Donna Tartt.

Loin de paraître artificielle, la forme du dialogue – qui a bien des antécédents en philosophie… – donne à toutes ces réflexions une vivacité et une immédiateté qui placent le lecteur au cœur des thèmes abordés.