Arnaud Genon : L’Aventure singulière d’Hervé Guibert

jeudi 27 novembre 2014, par Élizabeth Legros Chapuis

Mon Petit Editeur, 2012

Hervé Guibert, une trajectoire interrompue

Disparu prématurément en 1991, Hervé Guibert n’est pas oublié. Personnage inclassable, à la fois écrivain, journaliste, photographe et vidéaste, il a produit une œuvre multiforme comprenant romans, nouvelles, essais, articles, scénario, lettres, journal intime, albums de photographies, film... Arnaud Genon s’est attaché à la présenter et à faire ressortir, au-delà de ses disparités, son unité profonde.

Arnaud Genon, spécialiste de l’écriture de soi, est l’auteur d’une étude, Hervé Guibert. Vers une esthétique postmoderne (L’Harmattan, 2007) et le cofondateur du site www.herveguibert.net. Il a dirigé la rédaction du numéro 51 de La Revue littéraire consacré à Hervé Guibert en 2011 et du dossier paru l’année suivante dans la revue @nalyses. Depuis une dizaine d’années, il a publié de nombreux articles sur l’écrivain-photographe. Un bon nombre d’entre eux sont rassemblés dans un recueil intitulé L’Aventure singulière d’Hervé Guibert (Mon Petit Éditeur, 2012).

Le recueil comprend deux parties. La première, L’univers d’Hervé Guibert , reprend une quinzaine d’articles qui permettent une tentative de description du personnage et de « traversée de l’œuvre ». Ils évoquent les textes de Guibert sur la maladie – le sida – qui devait l’emporter, parmi lesquels ses livres les plus connus : À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie , Le Protocole compassionnel , L’Homme au chapeau rouge . Ils retracent le passage d’Hervé Guibert du roman à l’autofiction, mode d’expression qui allait devenir sa marque de fabrique, à travers tout un jeu d’éléments réels et fictifs, d’apparences et de faux-semblants. Ils soulignent à quel point le rapport au corps a été une constante dans le travail de Guibert, l’auteur passant « du corps jouissant au corps souffrant », observant de manière obsessionnelle son vieillissement prématuré.

La photographie (et le film, avec son œuvre autobiographique La Pudeur ou l’Impudeur, disponible depuis 2009 en DVD) sont pour Hervé Guibert d’autres vecteurs pour se livrer sans réserve au spectateur. « Avec cette impression de m’adonner à une occupation malsaine et funèbre, j’étais attentif aux transformations de mon visage comme aux transformations d’un personnage de roman qui s’achemine lentement vers la mort », écrit-il dans L’Image fantôme , une suite de récits ayant la photo comme dénominateur commun. Son travail photographique a été notamment reconnu lors d’une exposition rétrospective en 2011 à la Maison Européenne de la Photographie.

Arnaud Genon analyse également la manière dont Guibert subvertit les genres littéraires. Ainsi « le roman policier annoncé [il s’agit de L’Incognito] se transforme en aveu de la maladie du narrateur ». Un article un peu plus long est consacré à son « roman sadien » intitulé Vous m’avez fait former des fantômes . Enfin le dernier conclut sur l’importance de l’œuvre et la trace laissée par Guibert.

Dans la seconde partie, Hervé Guibert et son espace critique, Genon établit un « état des lieux » des études guibertiennes : critique journalistique, critique universitaire, enseignement, conservation des archives par l’IMEC. Il l’accompagne de comptes-rendus de plusieurs livres ou documentaires, tous sortis entre 2000 et 2011. Avec en annexe une chronologie des repères biographiques et une bibliographie, le livre d’Arnaud Genon constitue une excellente introduction à l’œuvre de celui qui a traversé les années 1980 comme une brillante comète. Les travaux précités et les rééditions sorties par Gallimard depuis 2005 lui permettent d’estimer qu’aujourd’hui cette œuvre est sortie du purgatoire et « désormais ancrée dans le champ littéraire français ».