Arnaud Genon : Tu vivras toujours

mercredi 22 juin 2016, par Élizabeth Legros Chapuis

Arnaud Genon : Tu vivras toujours. Ed. Rémanence, mars 2016

L’indicible douleur de la perte

Il aura fallu d’abord à Arnaud Genon devenir parent à son tour pour qu’il puisse se délivrer de ce livre, le récit de la mort prématurée de sa mère, quand il n’avait que treize ans. « J’ai depuis longtemps ce livre en moi, écrit l’auteur. Il relate la disparition de ma mère, alors que j’étais encore un enfant. C’est un court roman, plus précisément une autofiction, c’est-à-dire une autobiographie consciente de son impossibilité : je ne suis jamais que la fiction de mes souvenirs, de ma mémoire. C’est un livre sur l’enfance et l’innocence, sur l’aveuglement et la perte. Sur l’écriture, aussi. Un livre du ‘je’ que j’aimerais croire universel : un enfant, sa maman, la mort. »

Le livre bref (78 pages) et intense commence avec le récit de la mort elle-même, du désarroi, de la solitude ressentis par le jeune garçon ; des sentiments éprouvés, lors de cet événement, face aux autres membres de la famille ou à ses camarades, souvent la gêne, parfois l’hypocrisie. Puis l’auteur fait un retour sur ses souvenirs d’enfance antérieurs, en se focalisant sur cette période de trois ans, qui va de l’annonce de la maladie de la mère (un cancer du sein) jusqu’à son décès. Ces souvenirs, dit Arnaud Genon, « me ramènent à un autre âge mais aussi à un autre moi, celui d’avant sa disparition. Une autre dimension de moi-même. Je n’étais pas celui que je suis maintenant. Je ne serai plus jamais celui que je fus alors. Il y a comme une fissure qui nous sépare. Une fracture. Maman, en me laissant, m’a scindé en deux. » La puissance de la perte fait que la mémoire, justement, se fixe sur cette période spécifique.

Pendant ce temps – bref à l’échelle d’une vie entière, long si on le rapporte à l’âge d’un enfant de dix ans – la vie de la famille (il y a un autre fils, de quatre ans son aîné) s’organise autour de la malade, au rythme des traitements successifs (intervention chirurgicale, chimiothérapie, radiothérapie). L’enfant Arnaud, « perdu dans la tourmente », continue de croire contre l’évidence à la possibilité d’une guérison. Il vit à cheval dans deux univers, celui de la maison familiale qui est dominé par la maladie, celui de l’école où les mauvais rapports avec son instituteur occasionnent des problèmes : mais le travail scolaire reste une porte de sortie, de fuite. Il y a des rémissions, des répits, comme ces vacances d’hiver à la montagne, avec une photo de la mère prise à la fin du séjour : « sur l’image, les flocons de neige saisis dans la lumière du flash sont autant d’étoiles qui l’entourent dans sa beauté ».

Vingt-cinq ans plus tard, élevant ce mausolée, l’auteur s’efforce de reconstituer le fil des événements. Il a maintenant l’âge qu’avait sa mère quand elle est morte, 39 ans. Mais « on a beau vouloir se raconter au plus proche du vécu, on n’échappe jamais à la fiction, à notre propre fiction, celle dont on est fait. Les omissions, les silences, les ‘noirs’ ne relatent-ils pas aussi une histoire ? » D’ailleurs, un des rares moments de légèreté du livre, à peine une touche d’ironie, c’est pendant cette période que Genon écrit sa « première autofiction », pour les besoins d’un travail scolaire : « Ce n’était pas une fiction, juste un arrangement avec la réalité. »

On sait d’avance comment l’histoire va finir, elle n’en reste pas moins déchirante. Quelques mois avant la fin, c’est la mort de la chienne de la famille, Nouba, une mort qui va en préfigurer une autre. Il y a encore un dernier Noël, triste fête, puis la jeune femme succombe à la mi-janvier. La douleur de l’enfant est indicible, car de la douleur, « les mots n’en savent rien ». La mère avait demandé qu’on donne à son fils cadet une photo qui la représente âgée de quatre ans. « Elle est habillée de blanc et au dos de sa veste sont cousues les ailes d’un ange. » On traverse ce récit avec un serrement de cœur, sur la pointe des pieds.

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