Barbara Spitzer : En remontant les vieilles routes

dimanche 10 juin 2012, par Bernard Massip

Fait prisonnier de guerre au début de la seconde guerre mondiale, déporté en camp de prisonniers, Jacques Lévy ne connaîtra pas pour lui-même les camps de la mort auxquels n’échapperont pas ses parents, sa femme, son petit garçon, tous exterminés. A l’arrivée des troupes soviétiques, il est d’abord emmené vers l’est, en Biélorussie, hébergé pendant quelques mois au camp militaire de Starié Dorogi (les vieilles routes) avant de pouvoir retourner en France où il reconstruit sa vie et fonde une nouvelle famille.

Pendant 40 ans il gardera le silence sur sa douleur, caractéristique de ceux qui ont porté en eux une culpabilité secrète d’avoir seulement survécu. Les questionnements d’une amie documentariste de cinéma qui veut savoir, les échanges autour du récit de Primo Lévi, La Trêve, évoquant une expérience similaire à la sienne de transfert et de séjour en Europe centrale après les camps, vont avoir raison du silence du vieux monsieur et le mettre en situation d’évoquer enfin ses douloureux souvenirs. Au cours de ce travail nait l’idée d’effectuer un voyage sur place vers ce lieu d’entre ses deux vies.

C’est l’histoire de ce voyage extraordinaire que nous conte Barbara Spitzer dans ce film émouvant. On y suit Jacques Lévy, âgé de 99 ans, accompagné d’une de ses filles et d’une de ses petites filles, retrouvant les lieux de son séjour de 1945, évoquant par bribes les souvenirs de sa vie là-bas mais se confrontant aussi aux témoins locaux racontant ce qui s’était passé dans les mêmes lieux sous la férule nazie, les ghettos dans les petites villes de la région à forte population juive, puis les massacres, particulièrement atroces. Le vieil homme parle mais se tait aussi parfois et ses regards alors disent à quel point il est impossible de transmettre par la parole certaines douleurs. Fille et petite-fille, questionnent, parfois même houspillent et bousculent avec gentillesse. La parole mais aussi les silences et les regards s’échangent, circulent, oui, une transmission s’effectue, tellement nécessaire pour ceux qui sont venus après, tellement importante pour le vieil homme lui-même.

Le sourire doux qui éclaire le visage de Jacques Lévy lorsque, dans la dernière séquence du film, de retour de voyage, il évoque l’importance de ses enfants et petits enfants comme condition de sa survie, montre bien la satisfaction qu’a pu lui apporter cet effort de remémoration et de transmission : par ce film et le travail qui y a conduit c’est mission accomplie.

(Ce document a été multi-diffusé sur la chaîne LCP au cours du mois de juin 2012.)