Benoîte Groult : Mon évasion

lundi 7 mars 2011, par Catherine Vautier-Péanne

Grasset, 2008

Elle se dit écrivaine et elle y tient - on dit châtelaine aussi bien que souveraine - et c’est grammaticalement correct, alors Benoîte Groult tient bon. Elle tient bon la barre comme le gouvernail de son petit bateau qu’elle partagea avec son époux bien-aimé, Paul Guimard, à naviguer dans les eaux bretonnes jusqu’à quatre-vingts-ans passés. En 2004 le père de sa troisième fille disparut, de même que celui de ses deux premières filles, Georges de Caunes. Benoîte Groult nous raconte simplement, avec humour et bonne humeur, sa longue marche vers l’autonomie. Sans complaisance, avec la distance que permet l’âge - elle est née en 1920 - elle narre élégamment les étapes essentielles de son évasion dont le socle est certainement constitué par sa relation à ses parents : fille de son Pater adoré et complice, mais aussi pleine d’admiration pour sa mère « magnifique » :

Née en 1889, elle avait pourtant été élevée en vue du mariage, comme toutes les jeunes filles de son temps. Seul Paul Poiret, le fils aîné, avait eu droit à un métier (...). Entre 1914 et 1918 elle est restée seule à Paris, sans enfant, avec sa grande amie Marie Laurencin qui peignait déjà et fréquentait le Bateau Lavoir, Apollinaire et d’autres artistes. Je suppose qu’avec Marie elle a découvert la complicité, le plaisir entre femmes, pour lesquels la société avait beaucoup d’indulgence à cette époque (...). Pour se distraire ma mère s’est mise à faire des robes pour ses amies, et puis elle a ouvert boutique et sa réussite a commencé. Mais si elle s’était laissée faire par son jeune mari le soir de ses noces, en 1907, elle aurait déjà eu quatre enfants en 1914 comme sa sœur Jeanne, trois comme son frère Paul Poiret ou deux comme sa petite sœur Germaine et elle n’aurait pu s’offrir ni métier, ni amants (...). Quant au plaisir physique j’espère qu’elle l’a connu, ma petite maman, avec les femmes qui ne lui avaient jamais fait peur, qu’elle n’avait pas eu besoin de dominer. Les femmes, c’était le plaisir sans la peine... Je me suis aperçue, beaucoup plus tard, qu’elle avait vécu entourée de nombreuses amies évidemment homosexuelles, de couples de femmes, le plus souvent belles, spirituelles, excentriques (...). Pater les aimait beaucoup (...). Mais l’homme restait la grande affaire, comme pour Colette ».

La grande affaire de Benoîte Groult est en effet l’homme et surtout Paul, son « mari féministe », son amour, son ami, son frère, son amant, avec qui elle partagea plus d’un demi-siècle de vie dans un pacte qui ressemblait beaucoup à celui de Sartre et Beauvoir. Elle rappelle que beaucoup reste à faire pour la cause des femmes, et le chapitre où elle évoque, interviewée par Josyane Savigneau, sa lutte pour la féminisation des noms de métiers révèle des profondeurs misogynes qu’on préfère taire tant elles font honte à leurs auteurs.

Elle dédie son livre à sa « belle descendance, totalement féminine », ses trois filles, ses trois petites filles et son arrière-petite-fille Zélie, héritière de cette formidable, courageuse et passionnante histoire.