Bill Douglas : Trilogie

vendredi 6 septembre 2013, par Bernard Massip

My childhood, (Mon enfance), 48 mn (1972) ; My ain folk (Ceux de chez moi), 55mn (1973) ; My way home (Mon retour), 1h12 (1978)

Le cinéaste écossais Bill Douglas (1934-1991), est principalement l’auteur d’une trilogie, évoquant son enfance et son adolescence. Cet ensemble, qui était un peu oublié, vient d’être restauré et de retrouver le chemin des salles. C’est une œuvre magnifique, bouleversante qu’il ne faut pas manquer.

On y découvre un jeune garçon qui vit une enfance misérable à Newcraighall, village minier proche d’Edimbourg, pendant puis au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il vit d’abord, dans le dénuement le plus total, en compagnie de son demi-frère, avec une grand-mère quasi mutique enfermée dans ses chagrins. Sa mère est prostrée à l’asile. Les pères aussi sont absents, même si le sien habite la maison en face de la sienne. Après la mort de la grand-mère, tandis que son demi-frère est conduit en pension, il est recueilli par son père mais doit subir la mère de celui-ci, demi-folle, brisée par les chagrins et la frustration, qui oscille à son égard entre brefs moments d’amour excessif et de plus fréquentes brimades et violences. Il finit par partir à son tour en pension, s’essaye à différents petits métiers, rêve de devenir artiste, avant de se retrouver au service militaire dans le désert égyptien. Plus que de la misère matérielle c’est du rejet, du manque d’amour, de l’impossibilité de trouver sa place dans une famille déstructurée par la misère, la folie, la mort, les haines et les jalousies, que souffre le jeune garçon.

La force de ces films, la puissance d’émotion qu’ils dégagent proviennent de leur implacable sobriété. Les films sont brefs. Réalisés dans un beau noir et blanc, en format presque carré, ils traduisent par leur aspect même l’époque qu’ils évoquent plus que celle à laquelle ils ont été tournés. Ils préfèrent l’ellipse à l’explication, on passe d’une séquence à une autre sans transition, les films progressent à travers de longs plans, souvent statiques, dans lesquelles viennent s’inscrire les personnages, leurs mouvements, leur visage. Beaucoup de séquences sont muettes. Plus qu’un récit à proprement parler on sent que ce sont des images et des sensations que Bill Douglas a arraché à son enfance et qu’il a su admirablement recréer.

Dans les trois films c’est le même jeune acteur remarquable, qui joue Jamie, le personnage de l’auteur. Son visage renfrogné, son attitude corporelle même (tête rentrées entre les épaules, corps déjeté) suffisent à dire son isolement, sa détresse profonde.

Pas d’effets appuyés ou larmoyants. Les choses sont simplement montrées dans leur sécheresse implacable. Un exemple parmi d’autres : L’enfant fait chauffer une bouilloire. Il verse de l’eau brûlante dans une tasse, la laisse déborder, la vide, on se demande quelle bêtise il est en train d’accomplir, il se tourne, la porte à sa grand-mère immobile dans son fauteuil et referme autour de la tasse les doigts gourds de la vieille femme. Pas une parole n’est échangée mais comment mieux dire le dénuement extrême et la tendresse impuissante.

Dans cette constante détresse, quelques brefs moments de lumière : la relation d’amitié quasi paternelle avec un prisonnier de guerre allemand, un soir où femmes et jeunes enfants du coron se regroupent et, serrés les uns contre les autres, écoutent un vieil homme qui chante une complainte, l’appui que lui apporte un autre grand-père, également rejeté du cadre familial, un peu de compassion chez un responsable d’orphelinat…

Au cours du dernier film on quitte brutalement l’Ecosse. Nous sommes dans un véhicule qui cahote dans le désert, nous entendons parler des personnages que nous ne voyons pas. Nous reconnaissons Jamie à sa voix, il échange avec un autre homme, ils parlent tous deux anglais mais peinent à se comprendre, signe de la distance de leur condition sociale. On voit ensuite les deux jeunes hommes dans le pesant ennui de leur vie de caserne, Jamie est enfermé dans sa détresse, l’autre homme sait, au travers de quelques gestes affectueux, faire sentir à Jamie qu’il existe, peut l’enjoindre à vivre et lui permettre de sourire. Une amitié tendre se noue entre les deux jeunes gens, sésame d’une renaissance.

La fuite et le retour sont des motifs récurrents. Chacun des films se termine sur des images de déplacement : un train qui s’éloigne et les volutes de fumée qui persistent longuement ; le fourgon quasi cellulaire qui conduit Jamie à l’orphelinat et qui croise un groupe de bagpipers dans une rue du vieil Edimbourg ; le glissement sous nos yeux, dans un vrombissement d’avion, d’un paysage quasi abstrait évoquant successivement les sables du désert, la mer, les maisons abandonnées du coron avant de s’arrêter, enfin, sur l’image apaisée d’arbres fruitiers en pleine floraison. Il fallait partir, il fallait s’arracher à cette misère, à ce malheur, mais ce n’était pas pour autant oublier ou trahir son enfance, aussi douloureuse qu’elle ait pu être.