Camille Ruiz : Perdre Claire

lundi 1er novembre 2021, par Élizabeth Legros Chapuis

éd. publie-net, 2021

La photo en noir et blanc montre une femme vue de dos, débout sur un toit en terrasse, avec à l’arrière-plan des palmiers et une antenne parabolique de télévision. La légende dit : « Claire est morte fin septembre 2017 – elle avait 27 ans et c’était mon amie. »

Ainsi commence le petit livre de Camille Ruiz, long poème en vers libres où l’auteure va scruter, au fil du temps, la peine, le chagrin, la douleur de la perte. Une sorte d’élégie moderne, dans une langue simple, immédiate. C’est aussi, comme elle l’indique en sous-titre, un « journal de deuil », et d’ailleurs il sera fait référence, vers la fin du texte, au livre de Roland Barthes qui porte ce nom et à la « vie nouvelle » (la Vita Nova) à laquelle il invite.

Mais ce texte est tout sauf une spéculation intellectuelle sur le deuil. Par petites touches, scandées au rythme des quatre saisons de l’année qui s’écoule après la mort de Claire, Camille Ruiz évoque les humeurs, les sensations, les moments et la manière dont tout cela est affecté par le souvenir de l’absente. Camille – on peut l’appeler ainsi puisqu’elle ne cache pas le caractère autobiographique de son livre – n’est pas seule, elle est entourée d’amis et d’amies qui partagent son chagrin ; mais Claire a pour elle une place particulière : « Moi qui ai tout le temps peur des autres, j’étais devenue proche de toi ». Elles étaient même nées le même jour, un trois avril, mais à un an d’intervalle.

Le livre est « également ponctué par des images en noir et blanc, photos de lieux où Camille et Claire ont été ensemble : Paris, Cancale, le Maroc.

La perte affecte tous les domaines de la vie de Camille. Un mois après, elle constate : « Ma vie / rien n’a changé » et un désir de changement la saisit, qui fait que durant cette année si spéciale elle va à la fois déménager et démissionner de son travail. La fin de l’année apporte le terme d’un cycle ou d’une phase : « Quelque chose se referme ». Tout ce qui se passe pour elle, ou presque, elle a envie d’en parler à Claire, c’est comme un réflexe douloureux. Claire vient aussi lui rendre visite dans ses rêves, et bientôt « il n’y a plus aucune différence entre mes souvenirs et les rêves ».

Le temps passe vaille que vaille, et Camille constate « savoir qu’il n’y a pas de remède / qu’il faut attendre que ça passe. » Et de fait, l’espoir renaît, la souffrance décroît comme le niveau de l’eau après l’inondation. S’en apercevant, Camille note : « je cherche du doigt la douleur et comme une enfant je suis presque déçue de constater que j’ai moins mal ». Bien sûr, ce n’est pas fini, et il y aura encore des larmes, quand revient la date de l’anniversaire commun, qu’il faut fêter sans Claire, ou quand l’amie endeuillée visite le cimetière de Grenoble. Ou encore quand elle rencontre des amis communs, comme celui qu’elle appelle « le syndicaliste », et qu’il faut d’abord s’assurer qu’ils ont été informés du malheur.

Et l’expérience du deuil devient aussi une pierre de touche qui donne à voir autrement ce que l’on vit par la suite : « Depuis ta mort je le sais encore plus / nous sommes traversées par un courant / qui nous anime et à la fois nous éloigne / de ce qu’on aime ».

Voir la présentation sur le site de l’éditeur