Carola Hähnel et alii : Culture et mémoire

jeudi 27 novembre 2008, par Anne Roche

Carola Hähnel-Mesnard, Marie Liénard-Yeterian et Cristina Marinas (dir.) Culture et mémoire. Représentations contemporaines de la mémoire dans les espaces mémoriels, les arts du visuel, la littérature et le théâtre. (Les éditions de l’École Polytechnique, Paris, 2008)

Ce livre présente un double intérêt pour l’autobiographie, par son aspect international, et par l’accent qu’il met sur la structuration de la mémoire par le collectif. Les auteurs y recensent des lieux et des milieux de mémoire, musées et mémoriaux, mais aussi bien films, littérature, peinture… Ils étudient les stratégies d’occultation d’un passé gênant ou douloureux, les traitements métaphoriques de l’histoire pendant les années de dictature, et les dispositifs critiques qui voient peu à peu le jour.

Espagne, Italie, Grèce, Irlande, URSS, Rwanda… Un riche panorama des mémoires en lutte, qui poursuivent à leur manière les conflits du XX° siècle. J’ai choisi de faire un zoom sur l’Allemagne, fortement présente, d’’abord au niveau des musées, avec les articles de Ruth Vogel-Klein. « Le mémorial pour les Juifs assassinés d’Europe » (historique des projets, des controverses, enjeux différents de RFA en RDA), d’Élisa Goudin-Steinmann, qui pose la question de l’ « intégration » du patrimoine culturel est-allemand). De façon générale, les musées et mémoriaux actuels ne véhiculent plus une représentation idéalisée du passé, ils reflètent une relation conflictuelle au passé. Plusieurs articles s’en font l’écho, citons Dominique Trouche, « La scénarisation dans les musées d’histoire de la Seconde Guerre mondiale », qui avec les exemples des mémorials de Caen et de Schirmeck, analyse les dispositifs des expositions (enfermement, perte des repères, absence de vues sur l’extérieur, descentes…) : « L’objectif étant qu’il [le visiteur] perçoive l’horreur vécue par les déportés ou les résistants. » Cette mise en émotion, certes efficace, ne se fait-elle pas au détriment de la réflexion ?

Présence aussi de la littérature (Martine Benoit, sur Günter Kunert ) de la peinture (Claire Aslangul, "La manipulation de la mémoire dans l’image" ). Si la destruction des juifs d’Europe est un enjeu de mémoire crucial en Allemagne, l’article de Sarah Gensburger, « De Jérusalem à Kigali. L’émergence de la catégorie de « Juste » comme paradigme mémoriel », en montre l’essaimage, en analysant la notion de « Juste » et son extension à d’autres génocides : Arménie,Yougoslavie, Rwanda… Sa fonction est la réconciliation « typique des programmes de justice transitionnelle ou de sortie de conflit dans des sociétés divisées - mais l’exemple actuel de l’Algérie force à s’interroger. A l’opposé, l’article de Michael Rothberg « 17 Octobre 1961. A Site of Holocaust Memory ? » problématise la place donnée au génocide juif dans l’histoire américaine, par rapport au racisme anti-noir, mais récuse la « mise en concurrence des victimes ». Il propose la notion de mémoire multi – directionnelle, en étudiant la relation entre l’émergence de la mémoire de l’Holocauste et les processus de décolonisation, à travers un roman de William Gardner Smith, qui vivait à Paris et a assisté au massacre d’Octobre 1961. Ce dernier exemple, par le télescopage des territoires mémoriels, suggère combien ce livre stimule la réflexion.