Cassandra Vignon : Nuit verticale

mercredi 11 mai 2022, par Maribel Chenin

Autoédition par l’écrit du rouge-gorge, 2022
Pour le commander, écrire à : lecritdurougegorge@gmail.com

Voici un livre beau, lumineux, écrit comme un patchwork dont les morceaux sont tissés avec le fil de l’amour qui sublime la douleur et donne un sens. Chaque phrase sonne juste, d’une justesse et d’une sincérité surprenantes et qui font du bien. D’une justesse qui permet de tout dire sans heurter, de dire l’indicible, l’innommable et de se relever. Chaque phrase est forte, bien dite, belle, la poésie n’est jamais bien loin et les citations d’auteurs, de grands personnages ou de la Bible foisonnent. Comme la chilienne Violeta Parra, qu’elle admire et cite, elle aime l’écriture, la chanson, l’expression artistique sous toutes ses formes – l’image de la couverture c’est elle qui l’a peinte –, mais elle a tout laissé de côté pour se consacrer à son métier.

Un métier de sage-femme, aimé, exercé avec passion et abnégation. Un métier qui donne un sens à sa vie : celui d’aider les femmes à donner la vie et surtout celui d’être près des plus faibles. Être du côté des femmes et des enfants, des pères et des mères est l’endroit qu’elle a choisi dans la vie. Ce métier lui permet symboliquement de devenir la mère de sa mère, l’aide à réparer sa lignée maternelle. Les femmes de sa famille se veulent fortes, méprisent la faiblesse, la douceur et jouent le jeu de la domination patriarcale qui règne dans son pays d’origine, le Chili. Cassandra avait sept ans et ses parents avaient divorcé lorsque sa mère et sa grand-mère sont tombées dans les geôles de la dictature chilienne. Sa mère est restée deux longues années en prison. Après ce fut l’exil en France.

En 2018, Cassandra, femme engagée, traverse une période difficile professionnellement et s’interroge sur ce qui l’a amenée là. Elle se sent épuisée et brisée. Elle vit dans sa chair et son psychisme l’état de fatigue extrême que de nombreux soignants éprouvent. Elle perd le trésor qui fait de nous des vivants : la joie de vivre. Cassandra a le projet d’explorer en écriture cette fracture profonde qu’on nomme « burn-out » et qui à son sens est le symptôme de systèmes économiques et relationnels basés sur la domination.

Le désir d’écrire surgit alors et avec lui ce qu’elle gardait en silence : son enfance au Chili, l’exil, le deuil de sa mère morte d’un cancer, l’inceste subi de la part d’une personne qu’elle aimait immensément et en qui elle avait placé sa confiance. Elle a besoin de dire pour retrouver sa joie et elle le dit, elle ne peut pas faire autrement. Elle veut aussi parier sur notre humanité : oui ! nous sommes assez forts ensemble pour accueillir le malheur qui traverse nos vies. Alors elle nous raconte et nous cheminons avec elle.

Elle ne juge jamais, elle ne condamne jamais. Elle montre la vie, la vraie, sa vie, sa foi aussi, elle est croyante. Mais l’impensable surgit. Benoit, le deuxième de ses quatre enfants, un être de lumière qui aimait la vie et les gens, fait une chute mortelle en montagne. Le choc immense, incommensurable, est transcendé par la foi de Cassandra qui la propulse dans un espace où seul l’Amour véritable rend la vie possible. Elle y reste ! Elle touche au sacré, elle est dans le sacré car la vie est sacrée. Cassandra est vivante. Son fils vit en elle et l’illumine. Elle est entourée de l’amour de son mari et de ses trois autres enfants. Son écriture est un cadeau, une leçon d’humanité. Elle nomme les choses par leur nom. Le Verbe est là pour nous éclairer et nous éblouir.