Catel : Ainsi soit Benoîte Groult

mercredi 11 juin 2014, par Bernard Massip

Grasset, 2013

La dessinatrice Catel Muller, dite Catel, après une déjà longue carrière d’auteure de bandes dessinées s’est spécialisée dans le genre de la biographie, particulièrement de biographies de femmes qui ont marqué l’histoire par leur engagement et l’affirmation de leur liberté. Elle a notamment donné ces dernières années une remarquée Kiki de Montparnasse (2007) puis une vie de la révolutionnaire Olympe de Gouges (2011) et enfin cette belle évocation de l’écrivaine et féministe Benoîte Groult (2013).

Mais la biographie comporte cette fois une part autobiographique non négligeable. C’est l’histoire de Benoîte mais aussi celle de Catel au travail et de l’œuvre en train de se construire, de l’amitié qui se noue entre les deux femmes et des échos qui se répercutent entre la féministe historique et la jeune femme d’aujourd’hui.

Le récit est inscrit dans le présent. Il est structuré en vingt chapitres, chacun marqué, comme un journal, d’une date entre mai 2008 et juin 2013. Il raconte les rencontres entre l’auteure et Benoîte Groult, de la première dans laquelle la dessinatrice fait la connaissance de son « sujet » à l’occasion d’une double page que lui a commandé le quotidien Libération, jusqu’à celle ou Benoîte lui offre un rosier de son jardin en témoignage de reconnaissance du travail accompli et de l’amitié nouée. Et c’est, enchâssées dans le récit de ces rencontres au présent, que Benoîte évoque son passé, ses parents et sa naissance en 1920, son enfance dans un milieu bourgeois artiste, son activité d’enseignante puis de journaliste et d’écrivaine, ses maris et ses amours et la conquête de sa liberté, ses combats féministes et notamment sa lutte contre l’excision ou pour la féminisation des noms de métiers. Ces moments rétrospectifs se nouent à des évènements du présent : Catel suit la vieille dame toujours très active et pétillante à l’occasion d’une conférence à l’Unesco, d’une table ronde sur France-Inter, de rencontres avec des journalistes ou des éditeurs, à la remise par le Ministre de la culture de sa médaille de « chevalière » de la Légion d’Honneur ou lors de rencontres familiales ou plus privées. Dans chacune de ses occasions Catel se met également en scène avec ses réactions, ses questions, les échos que produisent en elle les souvenirs et déclarations de son ainée. Biographe et biographiée se retrouvent d’ailleurs sur une même tribune dans une médiathèque de Strasbourg autour de la figure d’Olympe de Gouges et des livres que toutes deux lui ont consacrés.

Catel ne se sépare jamais de son « Moleskine », où elle croque à tout moment, lieux, éléments de décor, portraits, « sa manière de se souvenir » dit-elle. Ces croquis sont les matrices des planches qu’elle dessine ensuite. Mais elle intègre aussi dans le déroulé du récit certaines pages des carnets tels quels, ce qui ajoute de la précision aux évocations, en particulier lorsqu’il s’agit de présenter les lieux où s’effectuent les rencontre et notamment les résidences de Benoîte à Paris, à Hyères et en Bretagne qui disent aussi beaucoup de l’histoire de la romancière. Catel n’hésite pas non plus à reproduire des courriers mis à sa disposition par Benoîte ou échangés avec elle, rajoutant ainsi le tremblé de l’écriture manuscrite saisie sur le vif, à ses dessins plus élaborés. Cette variété des modes d’expression graphique contribue à la richesse de l’ensemble et permet aussi de mieux comprendre les procédés de l’artiste.

Enfin court tout au long du récit et non sans humour une interrogation sur le mode d’expression choisi et les échanges des deux femmes sur le sujet. La couverture du livre montre une Benoîte ironique déclarant « Je n’aime pas la bande dessinée ». Comme elle le dit dans la préface qu’elle offre à Catel « ce n’est pas vraiment de mon âge ». Mais elle est séduite tout de même par le travail de la dessinatrice et elle note à la fin sur le Moleskine de Catel « littérature et bande dessinée ont des pouvoirs différents » ce qui, in fine, est une reconnaissance et le signe aussi de cette belle et émouvante complicité intergénérationnelle qui s’est progressivement nouée entre l’ainée et la cadette.