Catherine Millet : Une enfance de rêve

jeudi 5 juin 2014, par Roseline Combroux

Flammarion, 2014

Ce livre rassemble à la fois les souvenirs d’enfance de Catherine Millet mais aussi beaucoup des nôtres. Par exemple chacun pourra compléter la liste de ses premières fois : premier séjour à la mer, premier jour d’école, première humiliation, première sensation de liberté, premier amoureux, premières règles…

Elle nous donne à voir une petite fille qui comprend très vite que sa différence sociale, la relation conflictuelle de ses parents peuvent devenir un atout. "Outre que cette condition de rejeton d’un couple mal assorti me rendait intéressante non seulement aux yeux de mes camarades - forcément, ils m’accueillaient gentiment, avec générosité d’autant mieux consentie qu’elle les confortait peut-être dans la contemplation de leur propre félicité -, l’intérêt que je trouvais à cette mésentente était que je l’associais sans me le formuler clairement à notre condition sociale".

La cour de récréation devient le lieu où elle exerce ses talents de conteuse. " Mes histoires suppléaient très bien à ce que je ne pouvais pas étaler ou vanter d’une vie familiale et de son patrimoine qui n’existaient pas, jusqu’au jour où je réalisai qu’en m’inspirant de temps en temps du roman familial dans mes bavardages, je me constituais en fait un patrimoine très spécial. […] Par la même occasion, je mettais en place le pouvoir des mots sur moi-même."

Le rêve, l’imagination, la rêvasserie vont occuper une place privilégiée dans sa construction et lui faire supporter la violence de son quotidien. "Bien qu’il ne soit pas très beau, j’affectionne le mot rêvasserie, qui exprime si parfaitement ces pensées flottantes qui ne m’abandonnent jamais, que même le travail peine à dissiper, cette nébuleuse qui enveloppe tous les faits de la vie et en adoucit les contours lorsqu’ils sont trop vifs…"

Sa passion pour la lecture peuple sa solitude, alimente son imaginaire fécond et lui "permet d’être ce qu’on appelait "une originale" […]. Être bonne élève, montrer qu’on aime lire suffit à se hisser immédiatement dans l’échelle sociale." Très vite se dessine les contours d’un projet de vie : "Plus j’ai avancé en âge, plus j’ai lu, plus s’est affirmé en moi le désir d’écrire…"

Elle dialogue avec Dieu, elle agit sous son regard et, malgré tout, elle se masturbe, corps et esprit toujours intimement mêlés. C’est une petite fille précoce : " J’avais une confiance absolue en mon intelligence" et "la certitude que ma vie serait complètement différente non seulement de celle de ma famille mais aussi de celle de mes amis […] était si profondément ancrée qu’elle n’appelait même pas de ma part d’acte ou de déclaration à l’attention des autres…"

Dans un style limpide avec honnêteté, intensité, minutie elle nous propose une analyse très subtile des méandres de l’enfance, de ses peurs, de ses compromis. Un hymne à la vie.

Ce livre important donne lieu à un article plus développé de Bernard Massip, à lire dans La Faute à Rousseau, n° 67, octobre 2014.