Marie-Hélène Lafon : Chantiers

lundi 12 octobre 2015, par Anne Brasier

Editions des Busclats, 2015

Comment vient-on à l’écriture ? D’où naît le texte, ce qui se tisse, ce qui est « fomenté » et fermente avant de devenir livre et d’être lancé dans le monde ?
Ce sont ses matériaux, ses « chantiers » que décrit Marie-Hélène Lafon dans ce petit livre qui, conformément à l’esprit des éditions des Busclats, est écrit en « marge » de son œuvre en grande partie autobiographique.

D’abord, il y a « l’extrace » paysanne, le côté des arbres et de la Sentoire ; puis, de l’autre côté des arbres, l’accès « besogneux » à la culture, l’acquisition des diplômes, la conquête d’un salaire. On ose enfin se mettre à « l’établi des mots », même si l’on a appris l’humilité dès l’enfance : « ce n’est pas du rôti pour nous » disait la grand-mère…

Toutes les ressources de la langue : les outils de la grammaire, de l’orthographe, la structure de la phrase, les potentialités des adjectifs, des verbes, les apports de tous les savoirs entremêlés : ceux des ancêtres paysans, du catholicisme traditionnel et ceux de l’enseignement classique, tout cela permet l’élaboration du corps du texte, fait pour être lu et dit à voix haute. Ainsi vient le plaisir de rencontrer ses lecteurs.
Le texte exprime les épaisseurs du temps malgré le sentiment d’être déjà « périmés » comme l’affirme le père et encore comme l’écrit Pierre Bergounioux. Il dit les goûts musicaux, - Bach, les dimanches matins pour les orphelins de la foi - , les faits divers qui ouvrent des pistes, le difficile accès à La Route des Flandres de Claude Simon tandis que Le tramway lu dès sa parution est un peu la clé qui permet de bien saisir la chair de ses autres textes, de les ruminer, d’apprécier même l’importance d’une virgule. Flaubert reste la nourriture principale, inépuisable, son admiration à jamais.

Le dernier chapitre « A quatre mains » relate la naissance d’une belle amitié, d’une parfaite connivence et d’une ressemblance de sœurs entre l’écrivain - Marie-Hélène - et le professeur des Université - Sylviane -, grâce aux lectures partagées d’écrivains comme Michon, Millet, Bergounioux qui « ont la province en héritage » et la portent au « pinacle de la langue » , dans l’attente de ce qui s’écrira et sera lu, au fil du temps, dans la ferveur du travail…