Charles-Olivier Stiker-Métral : L’Autobiographie. Textes choisis

mercredi 24 décembre 2014, par Philippe Lejeune

Garnier-Flammarion, 2014

Voilà un petit livre agréable et fort bien fait qui donne le goût de l’autobiographie. Il est publié dans une collection de poche très sérieuse, « Corpus », destinée aux enseignants et aux étudiants. Mais on peut être sérieux sans être ennuyeux.

Une longue introduction circule avec souplesse dans les inévitables problèmes de définition, comparant l’autobiographie aux autres formes du « récit de soi », dégageant traits distinctifs et problèmes récurrents, vérité, mémoire, identité, rapport à la littérature, émergence de l’autofiction, le tout appuyé sur des exemples.

L’essentiel du livre est une anthologie présentant une quarantaine d’extraits d’autobiographies regroupés thématiquement en six chapitres : et c’est un vrai plaisir que de redécouvrir, ou tout simplement de découvrir, des textes autobiographiques pleins de vie et de talent, venus des quatre coins de l’histoire du genre, avec des rapprochements imprévus. Par exemple le premier chapitre nous présente des « moments de vie » empruntés, dans l’ordre, à Queneau, Vallès, Descartes, saint Augustin, Casanova, Voltaire et Oscar Wilde !

On est sous le charme, partagé entre la frustration (chaque extrait paraît trop court, on voudrait la suite !) et la méditation (mieux que des discours théoriques ces confrontations parfois surprenantes posent de grands problèmes). Le second chapitre : « Usages de la mémoire », navigue de Commynes à Leiris, sans oublier Primo Levi et Perec. Le troisième, « Figuration de soi » va de Rousseau à Marie d’Agoult, en passant par Montaigne et Maine de Biran. Les féministes fronceront le sourcil : dans cette anthologie, la parité n’est pas respectée : au total, deux femmes pour trente-sept hommes ! Mais le texte de Marie d’Agoult est un manifeste pour l’écriture personnelle des femmes.

Les trois chapitres suivants mettent l’accent sur les réflexions que les autobiographes eux-mêmes font sur leur pratique : ils sont souvent meilleurs théoriciens que les théoriciens, plus clairs, plus rapides. Chapitre quatre, « l’exigence de sincérité », où Rousseau se taille la part du lion ; chapitre cinq, « Autobiographie et genres personnels » - toutes les frontières du genre, de Marivaux à Doubrovsky, de Musset à Modiano.

Le chapitre six est peut-être le plus passionnant : il donne des points de repère capitaux sur la haine de l’autobiographie, haine qui a évolué au cours de l’histoire : on l’a d’abord condamnée au nom de la morale (un beau texte de Pierre Nicole contre Montaigne, faisant suite à la formule de Pascal, « Le moi est haïssable ») et ensuite au nom de la littérature, textes-clés de Brunetière et de Thibaudet). Plus la pratique autobiographique se répand, plus ce double procès se développe. C’est toujours la faute à Rousseau.

Le livre se termine par un « vade-mecum » faisant écho à l’introduction : en ordre alphabétique, de « Auteur » à « Témoignage », treize petites mises au point théoriques très claires. Et une bibliographie sélective, utile sans être écrasante.

Oui, ce livre donne le goût de l’autobiographie. Le seul regret qu’on puisse avoir, c’est que l’auteur ait l’air d’ignorer que l’autobiographie a une revue, La Faute à Rousseau, une association, l’APA, et un site : mais... ce sera pour la seconde édition !