Cheyenne Carron : La fille publique

jeudi 20 juin 2013, par Bernard Massip

Derrière le titre de ce film, au sous-entendu volontairement ambigu, se cache un beau et émouvant récit autobiographique d’une enfance et d’une adolescence pas comme les autres. Publique, la jeune Yasmeen l’est car, abandonnée par ses parents biologiques peu après sa naissance, elle est enfant de la Dass, pupille de l’état français, placée en même temps que sa sœur un peu plus âgée dans une famille d’accueil. Les Carron sont aimants, c’est une famille modeste vivant dans la campagne drômoise à proximité de Valence, le père est maçon, mais très cultivé et féru de cinéma, la mère est une ancienne institutrice, très marquée par sa foi et ses valeurs catholiques, se consacrant avant tout à sa famille composite, ses deux enfants biologiques, les deux « filles publiques », Yasmeen et sa sœur, et enfin un jeune garçon adopté, un indien originaire d’Amérique Centrale et qui est sourd.

Le film suit Yasmeen dans une période douloureuse et chahutée de son adolescence, entre seize et dix-huit ans. La situation est particulièrement déstabilisante pour elle, car sa famille biologique n’a pas renoncé à ses droits, sa « génitrice », comme elle l’appelle, réapparait même et tente de se rapprocher d’elle, suscitant la révolte et l’incompréhension de Yasmeen et redoublant pour elle les difficultés propres à cet âge de la vie. Elle décroche de sa formation de secrétariat, fait les 400 coups avec ses amies, fugue pour aller voir son petit frère en internat et finit par se retrouver dans un foyer, coupée de sa famille d’accueil. Elle se cherche. Elle tente sans succès de sa faire engager dans la légion étrangères (mais les filles ne sont pas admises !) et, fascinée par le cinéma, se rêve réalisatrice. Le film c’est tout à la fois ce maelstrom de révolte brute, souvent violente, aux limites de l’hystérie, la présence de l’amour intense qui circule dans cette famille, la formidable détermination que la jeune fille met dans tout ce qu’elle fait, gage et prémices de réussite pour la vie, si éloignée de ce que son histoire pouvait laisser attendre, qu’elle choisira de se construire.

Le film se veut complètement autobiographique, au plus près de la réalité des personnages et des évènements qu’ils ont vécus. Les noms eux-mêmes ont été conservés. Et c’est bien une histoire de nom qui marque au final la pleine conquête par l’auteure de son identité choisie. Prendre ce nom de Carron que permet l’adoption enfin réalisée, se débarrasser de ce Yasmeen venu de ses parents biologiques, choisir par elle-même, après être tombée sur une cassette du film de John Ford, ce prénom improbable : Cheyenne, et parvenir à l’imposer à l’état-civil. Et par là, à la fois, rendre hommage au grand cinéaste, à la tenace résistance des tribus indiennes et approfondir son lien avec son petit frère chéri.

Les acteurs, en particulier la jeune femme qui joue Yasmeen, et qui est de quasiment tous les plans et la non professionnelle qui interprète la mère, sont excellents, impressionnants de naturel. Le film est sans fioritures, au plus près des émotions. Presque trop, on se dit parfois que la réalisatrice aurait gagné à mettre un peu de distance. Et pourtant non. C’est cela aussi, ces maladresses même, qui font la force du film, qui attestent de l’absolu engagement de son auteure qui ne triche pas, qui avait besoin de raconter son histoire, de porter ce témoignage, de réaffirmer son amour pour ceux qui l’ont aidé à se construire. C’est cela qui rend ce film attachant et qui émeut profondément.

On regrettera, comme cela arrive trop souvent, l’extrême discrétion de la sortie et diffusion de ce film. Au moment où j’écris cette note, il semble n’être visible que dans une seule salle à Paris. Comment dans ces conditions espérer qu’il puisse se construire un public. Alors, si vous souhaitez le voir et le soutenir, ne tardez pas !