Chil Rajchman : Je suis le dernier Juif. Treblinka (1942-1943)

samedi 3 janvier 2009, par Maribel Chenin

Arènes, 2009 / Le livre de Poche

En août 2005, Raul, un ami uruguayen, mit entre mes mains un document extraordinaire. C’était une traduction d’un récit hallucinant édité à Montevideo en 1997 par Chil Rajchman, l’un des rares rescapés de la révolte de Treblinka du 2 août 1943. Le livre a connu trois éditions à Montevideo, mais n’a jamais été mis en vente. Raul avait bien connu l’auteur, car il est l’ami d’enfance de l’un de ses fils, Daniel. Comprenant l’importance du document, Raul proposa à la famille de faire des démarches pour tenter de trouver un éditeur en France. Il me demandait de l’aider.

La traduction de Raul laissait à désirer, mais la force de ce cri poussé par un homme qui avait survécu plus de onze mois à l’enfer des camps de la mort, sans renoncer à un regard lucide et digne, parvenait intacte à la conscience du lecteur. Comme tous ses lecteurs, j’ai été happée par ce récit. Je l’ai lu en retenant mon souffle, sans pouvoir m’arrêter. Je lis tout ce qui me tombe entre les mains sur la Shoah, mais là, c’était différent. D’abord une absence totale de haine et d’auto-compassion chez le narrateur - on devine un être hors du commun. Sans cela sa survie aurait été impossible, le témoignage n’aurait pas cette force, la lecture ne serait pas la même. Ensuite, c’est un témoignage très complet, très riche. Il fournit une multitude de détails sur ce qui se passait dans les camps. Il ne se contente pas de raconter la souffrance mais explique par exemple minutieusement comment se déroulait la tâche méthodique et acharnée de l’élimination de toute trace des crimes commis.

Fin janvier, munis d’une autre traduction, très belle, faite par une des connaissances de Raul, nous avons commencé à établir des contacts et tout est allé très vite. Toutes les personnes, spécialistes ou non, qui lisaient ce texte, s’accordaient à dire que c’était un document exceptionnel. Un commentaire parmi d’autres : « On sent tout ce que cette écriture a de haletant et de terrible, il y a une économie de mots, un rythme, qui transmettent absolument le dénuement, la précarité de sa situation, la survie au jour le jour et la violence absolue du lieu. » En peu de jours s’est établie une chaîne extraordinaire de contacts qui aboutit à une rencontre à Paris le 21 février 2006 entre Daniel Rajchman et un éditeur.

Peu avant le voyage de Daniel, j’ai pu lire le livre en espagnol et j’en ai déduit qu’il s’agissait déjà d’une traduction. Raul appela aussitôt Montevideo et demanda à la famille de chercher l’original. Les enfants ont découvert une version dactylographiée en yiddish. Chil Rajchman n’avait donc pas écrit son texte en espagnol longtemps après les faits, mais en yiddish, entre 1943 et 1945, caché à Varsovie et poussé par la peur que le monde ne connaisse jamais la vérité.

L’ouvrage a failli paraître en 2006 chez un autre éditeur, mais pour des raisons appartenant à la famille, cela n’a pu se faire. Je suis émue d’apprendre la prochaine parution de ce livre. Ce récit devrait aider à combattre le négationnisme, celui qui commença lorsque les SS faisaient tamiser les cendres en cherchant à faire disparaître la plus infime trace de leurs victimes, comme l’explique si bien l’auteur.

Enfin, cette version sera-t-elle identique à celle éditée avec l’aval de l’auteur en espagnol ou dévoilera-t-elle des souffrances qu’il aurait voulu cacher aux siens ?