Christian Coudre : Une trace dans le ciel est un chemin comme un autre

mercredi 26 août 2020, par Christian Lejosne

Nombre 7 Éditions, 2020

Énigmatique titre que l’on ne comprend qu’à la fin du livre. Le sous-titre « Roman autobiographique » l’est tout autant : à l’APA, on dit que l’autobiographe signe un pacte de vérité avec le lecteur, ce qui n’est pas le cas du romancier... Concernant ce livre, tout laisse à penser qu’il s’agit d’une autobiographie... Ce livre donc, comme une porte ouverte sur l’auteur. Sur son monde, sur son chemin de vie, forcément étroit, comme le sont les chemins de traverse de ceux qui, un jour, prennent la décision de sortir de la voie toute tracée (par les parents, le milieu social, la culture...) qui était la leur.

« Pardonnez-moi, mères et pères de penser que vos enfants doivent aussi continuer à grandir en dehors de vous, et parfois en s’opposant à vos principes », écrit-il vers la fin du livre. Ce passage fait penser au livre Le Prophète de Khalil Gibran (Christian Coudre en cite un autre passage) : « Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont fils et filles du désir de vie en lui-même. Ils viennent par vous et non de vous, et bien qu’ils soient avec vous, ce n’est pas à vous qu’ils appartiennent ». Ce propos résume à merveille le chemin de vie qui fut celui de Christian Coudre. Peut-être est-ce la fonction de ce livre ? Sinon quel le sens donner à la phrase d’introduction : « Je cherche ce que j’ai pu oublier de te dire qui aurait pu ouvrir ton cœur à mon besoin d’errance ».

Il s’agit d’abord du récit d’un premier voyage effectué en Polynésie alors qu’il est jeune adulte larguant les amarres. Décrit comme un acte de détachement de sa vie d’avant dont le lecteur (par pudeur, par respect pour tes proches ?) ne saura pas grand chose, hormis quelques mots épars : un père enseignant et inaccessible, une mère trop présente mais incapable d’amour véritable, la solitude subie, la quête éperdue d’un ailleurs. « Sur quoi se construire, enfant, lorsque l’amour est un fantôme ? » demande-t-il. La découverte, dans ces îles lointaines, d’une sorte de paradis terrestre pourrait être une réponse à ce manque (vie simple, loin du confort matériel, du consumérisme et l’urgence qui sont ici les nôtres). Mais il lui sera impossible de s’y établir. Son besoin d’errance prend le dessus, rendant tout enracinement impensable, l’obligeant à reprendre la route, à prolonger le voyage.

Il s’agit ensuite du regard qu’il pose sur sa vie et son besoin éperdu d’errance, cette « obsédante quête d’ailleurs ». A le lire, cette quête éperdue le laisserait aujourd’hui en paix. C’est sans doute cela son principal message. La fin d’une déclaration de guerre avec lui-même qu’il nous donne à lire, faisant de nous les témoins qui lui donnent sa valeur, pleine et entière. Il a gagné le droit à s’enraciner (en Camargue) dans un « voyage sans bouger ». Le droit de rapprocher les différentes parts de lui-même : le jeune assoiffé d’ailleurs et le vieux – qu’il me pardonne ce mot, pris ici le sens de sagesse – qui peut regarder son chemin de vie sans larme et sans colère, comme on regarde « une trace dans le ciel ». Une trace forcément éphémère.