Christian Lejosne : Le silence a le poids des larmes

jeudi 4 avril 2013, par Véronique Leroux-Hugon

L’Harmattan, 2012

Le silence a le poids des larmes. Mémoires familiales et réalités d’archives.

C’est sous les auspices de Louis Aragon qu’a été rédigé ce livre, empruntant son titre à une citation du poète, pour cette recherche tout azimut d’archives publiques, privées, familiales, généalogiques visant à reconstituer la vie d’un grand-père maternel, Marcel Leclaire. Son petit-fils l’a côtoyé pendant quinze ans sans rien connaître de cet homme, né de père inconnu, abandonné, et de ses secrets.

Comme une dette à régler, ou une revanche Christian Lejosne se lance donc dans une enquête pour résoudre l’énigme qu’est son grand-père ( né en 1896), le « trou noir » d’une existence vécue sans père, celle d’un homme qui porte en lui « le non-dit indicible de son origine paternelle. »

Ces recherches aboutissent à un texte quelque peu déconcertant, puisque pour combler le relatif silence des archives, l’auteur s’entoure de références historiques et cite l’une des jeunes filles présentées par Philippe Lejeune dans Le moi des demoiselles, pour retracer la vie de Louise, mère de Marcel. Dans cette quête des origines, il s’inspire aussi de la biographie de Louis Aragon, enfant bâtard comme Marcel. Aux (maigres) résultats de ses plongées en archive, il ajoute des commentaires personnels, use du présent, du passé simple, de l’imparfait, interpelle son héros dans la dernière partie du livre qui « ouvre enfin le dialogue avec toi, comblant le vide de nos non-dits ».

Louise, Juliette, Alice, ces prénoms constituent les titres de ses trois chapitres sur Louise la mère donc, Juliette, la mère nourricière, et Alice son épouse, trois femmes qui vont marquer cette vie. Marcel est abandonné par sa mère (qui se savait condamnée par la tuberculose) à l’âge de 10 ans. Il est placé dans une première famille à la campagne en Picardie, remarqué par l’institutrice, Juliette. Celle-ci va l’adopter ce qu’on apprend en lisant le journal tenu par elle, dont on ne saura qu’à la fin du livre qu’il est fictif. De même, en l’absence de traces réelles, l’existence de Louise, blanchisseuse à la Zola est inspirée du sort de la Fortunée évoquée par Philippe Lejeune, pour tenter de reconstituer le vécu affectif de l’enfant.

Marcel commence tôt à travailler, dans sa famille nourricière, tente de s’engager en 1914 ; trop chétif il est d’abord refusé puis envoyé dans l’infanterie en Haute Vienne. Cette guerre maudite, mentionnée dans les dernières pages par un monologue du soldat Leclaire, blessé, laissera un souvenir terrible au jeune Marcel. Pour évoquer le conflit, Christian Lejosne utilise ici des journaux de marche et cite l’Aurélien d’Aragon. La première photo connue de Marcel le présente sous l’ uniforme, rien avant, « comme si sa vie d’avant n’avait pas d’existence. Comme si on ne pouvait ni la montrer, ni se la représenter ».

Après-guerre, Marcel épouse Alice dont il aura quatre enfants, s’installe à Arras et travaille aux chemins de fer. Il adhère au Parti dans les années trente, ne se départira jamais de ses convictions communistes. L’auteur dresse un portrait élogieux de ce grand-père qui incarne la droiture tant physique que morale, dont la vie est endeuillée à plusieurs reprises, affectée encore par la disparition inexpliquée de son fils en 1959. Puis « Le reste de ta vie, tu le consacrerais à part entière à tes deux fidèles passions : ta femme et le Parti ».

A ce parcours, Christian Lejosne confronte le sien, son engagement gauchiste. C’est en fin d’ouvrage qu’il revient sur l’histoire, romancée, de Louise dont il ne dispose en fait que de deux signatures au bas d’un document, et s’interroge : « Comment écrire ce que tu n’as pas exprimé sans risquer de me tromper dans l’interprétation de tes silences, tout ce que j’ai écrit ne serait-il alors que littérature ? ».
C’est toute la question.