Claude Pujade-Renaud : Les femmes du braconnier

vendredi 18 mars 2011, par Geneviève Mazeau

Actes sud, 2010

Qui sont ces femmes ? L’une Sylvia Plath, l’autre Assia Wevil, deux poétesses éprises du même homme, Ted Hughes, poète et « braconnier », maître du monde animal, végétal et minéral, qui exerce une attraction morbide sur ces deux femmes. Tous trois sont liés par l’écriture, une écriture sensuelle à l’instar de cette table de travail de Sylvia comparée à « une aire d’atterrissage minutieusement décapée, imprégnée de sueur, de tendresse comme le sont les peaux après l’amour », une écriture meurtrière tel le roman autobiographique écrit par Sylvia, par lequel elle tue symboliquement sa mère, une écriture suicidaire comme dans le poème « Dernières paroles » « je ne veux pas une boîte quelconque, je veux un sarcophage », ou encore à la manière de Ted, génie poétique qui « se rassemble, musculeux animal sur le point de saillir ou de tuer » lorsqu’il se met en écriture.

Si tous trois communiquent ou communient par l’écriture, ont des échanges féconds autour de leurs poèmes respectifs, publient sans être rivaux, néanmoins des fissures s’opèrent qui deviendront ruptures. Sylvia s’aperçoit que le compagnonnage si merveilleux du début devient carcéral et cherchera à se libérer de l’emprise de Ted. Elle puisera sa capacité créatrice dans la maternité. Certes la grossesse favorise l’inspiration, évacue la dépression, dont souffre Sylvia depuis des années laquelle l’a conduite à une tentative de suicide, certes la grossesse comble le vide qu’elle ressent en elle, nul doute aussi que le langage peut la tirer vers un ailleurs, cependant des forces antagonistes sont à l’œuvre, des forces destructrices et souterraines qui sapent l’énergie créatrice et l’appétit de vivre. Sylvia finit par quitter Ted, et se suicidera peu de temps après.

Le destin d’Assia, qui deviendra la nouvelle compagne de Ted suit, (on pourrait dire « épouse ») étrangement le destin de Sylvia. Et on s’interroge sur l’érotisme animal de Ted, sa brutalité, sur ce qui dérape, qui finit par sentir la mort, Ted qui est le catalyseur et pas la cause de la mort des deux femmes. Où serait alors la cause ?
 Dans les histoires familiales ? Pour Sylvia, un père prussien que ses parents rêvaient prêtre et qui est attiré par les sciences et les abeilles, qu’ils ont renié, traître et maudit, parce qu’il n’a pas réalisé leur désir ? Il meurt sans vouloir se soigner, une attitude quasi suicidaire. « Se pourrait-il qu’on meure d’avoir été effacé de la carte des siens ? ». Se pourrait-il que la malédiction se poursuive de génération en génération ? Jusqu’à la troisième génération. Le fils de Sylvia se pend. Entrelacement de vie, de mort et de folie.
 Dans l’exil ? Les familles de Sylvia et d’Assia viennent d’Autriche, d’Allemagne, de Pologne et ont émigré en Amérique. Les deux femmes reviennent-elles dans l’Ancien Monde à la recherche de leurs racines ?
 Dans la grande Histoire ? Celle de l’holocauste qui hante les deux femmes, l’une se dit juive pour exprimer un sentiment de persécution et l’autre Assia, l’est réellement.
 Dans l’impuissance du langage, même poétique, à combattre les pulsions de mort ?
Le livre est plein de questions ; il ne donne pas de réponses, mais nous propose des pistes possibles et des angles de vue différents, grâce au regard d’autres personnes, telles que la mère de Sylvia, la sage-femme, le critique littéraire, la sœur d’Assia, un voisin...

Dans Les femmes du braconnier, comme dans ses autres livres, Claude Pujade-Renaud sait rendre compte aussi bien des grandes passions amoureuses ou mystiques que nous dépeindre les intrigues de cour ou l’univers domestique dans ses plus humbles tâches. Par une écriture animée, c’est-à-dire faite de chair et d’âme, fort bien rendue par le recours au monologue intérieur, Claude Pujade-Renaud se fait passeur et nous ouvre l’accès à une lecture intime de personnages célèbres, au-delà de leur œuvre. C’est là tout son talent.