Claudie Hunzinger : Elles vivaient d’espoir

mardi 8 janvier 2013, par Catherine Vautier-Péanne

Grasset, 2010

Dans les affaires de sa mère décédée quelques années auparavant, Claudie Hunzinger, plasticienne de métier mais très concernée par l’écrit, tombe sur des lettres, cartes, notes intimes et sur une série de cahiers de toile qui n’attendaient qu’elle pour redonner vie à l’histoire qu’ils contenaient.

Emma, sa mère, née en 1906 de parents instituteurs dans un village de la Côte d’Or, rencontre dans les années trente Thèrèse, de deux ans sa cadette, elle aussi fille d’instituteurs. Elles rêvent toutes deux d’enseigner à leur tour et sont en prépa du concours d’entrée de l’Ecole Normale Supérieure à Nancy.

De caractères opposés, les deux jeunes filles n’ont peur de rien et surtout pas de s’aimer, car – c’est une évidence – elles sont faites l’une pour l’autre. Au point de très sérieusement envisager la vie commune, avec un enfant dont Emma, la plus sensuelle, choisirait le géniteur… Car Emma est la vie même, elle veut vivre, dévorer l’existence, et par-dessus tout : aimer. Au gré des nominations de l’une et de l’autre elles sont bientôt séparées mais ne cessent de correspondre, échangeant leurs conceptions de l’existence, se retrouvant pendant les vacances. Thèrèse la plus jeune est aussi la plus secrète, énigmatique même, voire sauvage. Emma l’appelle « mon petit camarade ». Emma veut goûter à tout, aussi elle a également des amants à côté de sa relation avec Thérèse, amants qu’elle désire davantage qu’elle ne les aime.

Quelques années après leur rencontre, les hasards de la vie vont mettre sur le chemin d’Emma un homme, veuf avec deux enfants, qui la veut farouchement. Elle cèdera, l’amour l’attire sans qu’elle puisse résister, elle le suivra jusqu’en Alsace, où il lui fera quatre enfants. Mais c’est la guerre, elle se doute que son mari est proche – trop proche – du parti nazi, elle n’approuve pas ses choix, apprend à se taire. Pendant qu’il disparaît pour des missions obscures, elle gère la fratrie de six, infatigable. Dans l’isolement et le silence car elle ne doit plus parler sa langue, le français, c’est trop dangereux à ce moment de l’Histoire.

Pour avancer dans l’écriture de son livre, l’auteure ne se contente pas des cahiers dans lesquels suffisamment d’indices sont semés : elle doit en savoir davantage sur Thérèse qui semble avoir disparu brusquement de la vie et des écrits de sa mère. Pourtant, elle-même se souvient d’un voyage en Bretagne au lendemain de la guerre, alors qu’elle avait sept ans (Claudie Hunzinger est née en 1940 à Colmar). Elle est sûre qu’Emma était alors partie à sa recherche. Grâce à une survivante de cette époque, elle retrouvera la trace de Thérèse Pierre à Fougères où deux établissements scolaires portent son nom. Car cette femme exceptionnelle fut un chef de la Résistance en Bretagne, elle aura plus de cent hommes sous sa responsabilité. Capturée, torturée des jours durant par la Gestapo , elle mourut dans son cachot le 27 octobre 1943 sans que ses bourreaux aient réussi à la faire parler, sauvant ainsi la vie de centaines de personnes.

L’auteure a fait un travail de mémoire impressionnant avec le matériau laissé par sa mère, mêlant sa voix à la sienne dans un texte qui unifie passé et présent, réussissant à sauver de l’oubli ces deux pionnières qui vécurent d’espoir, les rendant à la littérature, leur commune passion. Le dernier cahier se terminait par ce poème d’Eluard :

En dépit des pierres
A figure d’hommes
Nous rirons encore.
En dépit des cœurs
Noués et mortels
Nous vivons d’espoir.