Clémentine de Como : Emancipation de la femme, t. I, 1803-1841, t.II, 1841-1853

lundi 9 avril 2012, par Madeleine Rebaudières

Wallada, 2009

Les 1200 pages de cette autobiographie étonnante nous avaient été signalées par son éditrice, Françoise Mingot-Tauran, (voir le billet du blog des apaïstes en date du 12 mars dernier qui annonçait une présentation au centre culturel italien). L’ « inconnue de Bonnieux », « disparue de l’Histoire », ainsi que la qualifient son « découvreur », Maurice Mauviel, et l’éditrice de cette réédition en fac-similé (légèrement grossie pour une meilleure lecture) à partir de l’édition originale de 1853, imprimerie Arnaldi, Turin. Il n’en restait qu’un ou deux exemplaires dans des bibliothèques à Turin. Je renvoie au blog de Maurice Mauviel pour les recherches qu’il a faites et l’aventure de cette réédition avec le soutien de la mairie de Bonnieux et de ses habitants.

Née à Bonnieux d’une aristocrate provençale et d’un soldat piémontais qui avait déserté les armées révolutionnaires, avide d’instruction, Clémentine de Como entre au couvent chez les sœurs de Saint-Charles et devient institutrice. Elle se détache (très difficilement) du couvent pour s’occuper de sa famille en proie à la misère et aux maladies, mais ne renoncera jamais à instruire les jeunes filles en créant partout où elle passe, des pensionnats, de Montpellier à Aix. Après la mort de sa mère et de l’une de ses sœurs, elle suit son père qui veut revoir son Piémont natal, mais qui finit par disparaître définitivement, et c’est avec sa plus jeune sœur qu’elle poursuit inlassablement son œuvre d’institutrice, en Italie cette fois.

Parallèlement, elle publie des romans, des poèmes, des drames, a une liaison désastreuse avec un littérateur italien et c’est à l’âge de 50 ans qu’elle écrit cette « historiographie de soi-même » : sur l’exemple de « Benvenuto Cellini, Alfieri, Rousseau, Chateaubriand », et « vient offrir au public ses modestes mémoires ». Elle y dénonce l’absence de droits dont souffre le « sexe faible », l’emprise de la religion et du monachisme dont elle a connu les hypocrisies et les méfaits. Elle ose enfin, dans le second tome, dénoncer son amant, poète cynique et pervers qui la manipula, l’exploita et « broya son cœur ». Elle publie même les lettres de ce dernier à l’appui de sa démonstration. Elle se sauve par l’écriture : « vis et que ta plume te réhabilite et châtie celui qui t’a déchirée ».

Féministe, mais aussi témoin et observatrice de son temps, on la suit avec délices dans les contrées qu’elle décrit si bien et l’Histoire qu’elle relate tout en y participant. Son style est très fleuri, romantique, avec beaucoup d’humour sur elle-même et sur les autres. Elle interpelle son lecteur, les mères et le système éducatif, en particulier celui des filles. Elle dédiera et enverra à Victor Hugo son roman Pauvres enfants publié en 1865, puis l’on perd sa trace (elle semble s’être alors mariée à un certain Viallet). Victor Hugo lui répond depuis Hauteville-House : « Votre livre, Madame, est de ceux qui mouillent les paupières. Il gagne sa cause par l’émotion…ce touchant livre, si féminin par l’observation, si mâle par l’enseignement. »

Tout un programme, et en tout cas, « un vrai bonheur de lecture. Le style est celui de son époque ; le feu, les désirs, l’action portés toujours à l’extrême réussissent cependant à nous sauter au visage » comme l’a écrit Françoise Héritier avec laquelle je suis bien d’accord : quand on s’y plonge, il est difficile de s’en détacher.