Collectif : Je & Moi, sous la direction de Philippe Forest, NRF, n° 598, octobre 2011

samedi 19 novembre 2011, par Philippe Lejeune

Gallimard, 2011

« & » : ce signe s’appelle, paraît-il, une esperluette – mot-valise éberlué de marier ainsi espérance et luette ! – et il noue de manière inextricable le e et le t de « et ». Que signifie donc ici ce « & » ?« Je » avec, sans ou contre « Moi » ?, interroge au début Philippe Forest. De toute façon, Je et Moi, ces faux jumeaux, ne peuvent se passer l’un de l’autre et leurs relations sont… aussi embrouillées que celles de la vérité et de la fiction.

Philippe Forest a adressé un questionnaire à une quinzaine d’écrivains contemporains pour démêler ce nœud, sollicitant en réponse réflexions ou témoignages. C’est naturellement le débat sur l’autofiction qui s’invite d’abord, illustré par les interventions de deux acteurs majeurs, Serge Doubrovsky reformulant sa définition du genre (« récit dont la matière est entièrement autobiographique, la manière entièrement fictionnelle ») et Christine Angot martelant son credo (« la suppression du moi est nécessaire pour faire advenir le je qui dirigera le livre »). Aux professions de foi des praticiens succèdent les mises en perspective de critiques : ils élargissent la réflexion en faisant de l’autofiction une manifestation parmi d’autres de la formidable explosion des écritures du je dans le laboratoire de la littérature contemporaine (Claude Burgelin), ou bien en la resituant dans la longue durée, la réinscrivant dans « l’histoire longue et complexe des manières dont les écrivains ont eux-mêmes tenté de biaiser le pacte qu’on attendait d’eux » (Jean-Louis Jeannelle).

Après une subtile charge de Stéphane Audeguy contre l’autobiographie et l’autofiction (« l’échec, le veule, le dépressif, les platitudes dominent… pourquoi l’autobiographie contemporaine dédaigne-t-elle la joie, la beauté, la douceur ? ») et de brillantes variations de Philippe Forest sur un thème de Kierkegaard, la seconde partie du numéro se rapproche du terrain. Tantôt ce sont des pages d’écriture personnelle (j’ai apprécié en particulier celles de Patrick Autréaux et de Brigitte Giraud), tantôt des explications ou examens de conscience qui nous font entrer dans l’atelier de l’écrivain. Ainsi, sur le ton de la confidence, René de Ceccatty nous explique le rôle que joue pour lui la pratique d’un journal vraiment intime (qu’il ne publiera jamais) en marge d’une écriture publique où il prend souvent le détour de la fiction, et Camille Laurens, joignant la pratique à la théorie, nous donne un vertigineux « extrait » d’un « Dialogue entre nous » où elle met en scène, en les analysant, tous les plis de ses identités.

L’ensemble, qui se clôt sur un échange entre Philippe Forest et Philippe Sollers, donne un tableau varié, stimulant, dynamique du Je & du Moi contemporains.