Collectif : Le Débat, 2012, N°170. Le livre, le numérique

samedi 6 octobre 2012, par Véronique Leroux-Hugon

Gallimard, 2012

Ce dossier du Débat appréhende l’irruption du numérique, les réalisations et les projets de bibliothèques numériques, pour arriver à la « civilisation numérique », et rappeler en passant ce que devient la mémoire à l’âge de l’oubli. D’objet qu’il était, le livre tend à devenir un service, dispensé par de nouveaux et puissants serveurs d’accès : de cette transformation, sur laquelle on glose sans fin, résulte un bouleversement des fonctions de l’ensemble des médiateurs. A commencer par « l’Editeur entre l’encre et l’écran », soit Antoine Gallimard, qui constate le passage de l’économie du nombre à l’économie de l’accès et de l’usage, ce qui implique la nécessité d’une vision politique de la lecture et de la vie privée. Hervé Gaymard et Jacques Toubon s’interrogent alors sur ce que peut être cette politique.

De diverses et intéressantes contributions sur le livre et la lecture aujourd’hui, on peut retenir (et peut être s’en affliger ?) avec l’analyse d’Olivier Donnat, le constat d’un recul ancien et général de la lecture régulière des livres au bénéfice de la culture d’écran : abandon du livre en cours de lecture, vieillissement et féminisation du lectorat, lectures fragmentées et zapping. Il conclut justement à la nécessité d’une redéfinition de la place de la culture de l’imprimé et… du rôle des bibliothèques au 21e siècle, qu’elles soient publiques ou universitaires.

L’irruption du numérique est perçue, à travers des contributions stimulantes par quatre auteurs : Pierre Assouline, Françoise Benhamou, Antoine Compagnon et Erik Orsenna qui évoque « l’auteur entre le papier et l’immatériel ». Pierre Assouline insiste sur la nécessité de désacraliser le papier, et propose un nouveau contrat entre l’auteur et le lecteur tenant compte du caractère mouvant et interactif du support.

Partant de constatations identiques, Françoise Benhamou, spécialiste de l’économie du livre propose des perspectives très positives. Le livre numérique n’est pas un double imparfait du livre imprimé, mais peut promettre au contraire l’échange immédiat et permanent des savoirs et des œuvres, leur circulation qui se joue des frontières, les programmes de numérisation donnant vie au projet des Lumières, une bibliothèque universelle et des savoirs décloisonnés, un nouveau temps de l’histoire du livre marqué par un accès plus aisé pour ceux qui en étaient exclus, de nouvelles formes créatives. Antoine Compagnon donne ensuite des exemples de ses nouvelles pratiques de lectures en tant que chercheur souvent émerveillé des nouvelles ressources offertes mais s’interrogeant aussi sur la perte de l’imagination comme faculté très sollicitée dans la lecture traditionnelle, de la disparition d’une lecture subjective. Moins enthousiaste, Erik Orsenna dresse un éloge de la lenteur du lecteur classique qui va de pair avec la capacité de réfléchir de manière autonome en soulignant que « le drame du net, c’est de donner la prime à l’opinion par rapport au savoir ».

Logiquement, le dossier se poursuit sur les réalisations (Gallica) et les projets de bibliothèques numériques notamment la bibliothèque américaine, conduits par des historiens que ce soit Robert Darnton pour les Etats-Unis, Jean Noël Jeanneney dont on sait les combats menés dès 2005 contre le monopole Google, ou Bruno Racine qui parle d’une utopie séduisante, sans se cacher les questions juridiques, notamment celle du droit des auteurs.

Les dernières contributions traitent de la civilisation numérique, ce numérique devenu un adjectif substantivé pour Alexandre Moatti, souverain, voire révolutionnaire pour Olivier Ferrand, tandis que Nathalie Savary analyse la galaxie Wikimedia en tant que « dynamique du partage de la connaissance. », de Wikipedia à plusieurs projets fédérateurs qu’elle énumère.