Collectif : Trajets épistolaires

mardi 14 juin 2022, par Élizabeth Legros Chapuis

"Trajets épistolaires, hommage à Brigitte Diaz", ouvrage collectif sous la direction de Julie Anselmini et Françoise Simonet-Tenant, Pr. Univ de Rouen et du Havre, 2021, 174 p.

L’esprit des lettres

Considérées du point de vue de l’autobiographie, les lettres privées représentent souvent une source complémentaire à d’autres formes d’expression écrite. Ce volume qui regroupe une quinzaine d’études donne à voir la grande diversité des correspondances, grâce notamment à l’examen de plusieurs publications récentes, et du rôle qu’elles jouent dans la connaissance que nous avons de leurs auteurs. Les épistoliers évoqués appartiennent pour la plupart aux 19e et 20e siècles, à l’exception de la toute première étude (Voltaire) et de la dernière (Madame de Sévigné, vue sous l’angle, assez amusant, de l’usage commercial de son nom par une célèbre marque de confiserie). Une incursion dans la fiction est opérée de manière inattendue avec l’examen du film de Clint Eastwood, Sur la route de Madison, adapté du roman éponyme de Robert James Waller, où les lettres posthumes du personnage central jouent un rôle décisif.

Dans leur avant-propos, Julie Anselmini et Françoise Simonet-Tenant soulignent la double nature de la lettre, comme message circulant d’un point à un autre et comme vecteur réalisant « la fusion imaginaire de deux présents différés », constituant à la fois une pratique ordinaire et un geste lettré. « On doit à Brigitte Diaz et à quelques autres [notamment Geneviève Haroche-Bouzinac] d’avoir sorti depuis les années 1980 l’épistolaire du « purgatoire critique dans lequel notre modernité l’avait consigné », ce qui s’est fait notamment au sein de l’Association Interdisciplinaire de Recherche sur l’Épistolaire (AIRE). L’ouvrage est divisé en trois sections, la première portant sur le statut mobile de la correspondance, en tant qu’objet éditorial ; la deuxième montrant « la fécondité des interférences entre l’épistolaire et le romanesque » à travers les lettres d’écrivains ; la dernière enfin ouvrant de nouveaux itinéraires de recherche.

Quelques exemples significatifs : Pascale Auraix-Jonchière nous fait découvrir la Fanchette de George Sand, « suite épistolaire » dans laquelle Sand, à partir d’un fait divers, construit un dispositif scénographique complexe lui permettant de combiner les caractères de la correspondance privée et de la lettre publique, afin de faire passer un « discours à finalité polémique […] où prévalent les valeurs humanistes ». George Sand est très présente dans ce recueil où est également étudiée sa correspondance avec Flaubert et leurs divergences en matière esthétique. Les Lettres d’Amérique de Nathalie Sarraute, écrites lors de son voyage aux USA en 1964, éclairent son roman Les Fruits d’or et montrent la transformation de l’écrivaine, d’une audience encore assez confidentielle en France, au statut d’auteur à la renommée internationale.

Parmi les inédits, la correspondance entre Yvonne Jean-Haffen et Mathurin Méheut, au début du 20e siècle, met en scène un couple d’artistes peintres dont les lettres conjuguent hommage artistique et célébration d’un amour clandestin. On retrouve aussi les lettres à Jane Misme, objet d’un article de Françoise Simonet-Tenant dans La Faute à Rousseau n° 78 de juin 2018. Ici, elle s’intéresse en particulier aux lettres adressées à Jane Misme par le critique Francisque Sarcey, d’après un tapuscrit rédigé par sa fille Clotilde Brière-Misme en 1957, constituant un véritable « récit d’apprentissage et de formation ». Enfin on notera le texte de Silvia Fabrizio-Costa à propos de Pierre Minet, à travers le fonds documentaire détenu à la Bibliothèque Universitaire de Caen à la suite du dépôt effectué par André Corbeau. Les échanges épistolaires entre Corbeau et Minet, de nature à la fois professionnelle et amicale, permettent de mieux connaître cet écrivain un peu oublié qui avait été dans les années 20 membre du "Grand Jeu" aux côtés de René Daumal, de Roger Gilbert-Lecomte et de Roger Vailland.