David Ernaux-Briot : Les années super 8 d’Annie Ernaux

vendredi 7 octobre 2022, par Martine Bousquet

Film, par David Ernaux, construit à partir de films familiaux muets tournés entre 1972 et 1981. A voir sur Arte TV, jusqu’au 31 octobre.

À propos de ces films, Annie Ernaux écrit : « Il m’est apparu que ceux-ci constituaient non seulement une archive familiale mais aussi un témoignage sur les goûts, les loisirs, le style de vie et les aspirations d’une classe sociale au cour de la décennie post 68. »

Et en effet, j’ai été stupéfaite de voir tant de similitudes avec elle, nos professions, nos loisirs, notre style de vie de l’époque. Enseignante comme Annie Ernaux, j’ai pratiqué en famille le ski à La Clusaz près d’Annecy l’hiver, le retour à la nature pour les vacances d’été en Ardèche, les voyages dans certains pays communistes, je me suis installée comme elle dans un pavillon de banlieue, j’ai aussi voté Mitterrand et apprécié Rocard, comme elle j’ai la fibre sociale et féministe.

Annie Ernaux poursuit : « Sur ces images muettes, j’ai eu envie de les intégrer dans un récit au croisement de l’histoire, du social et de l’intime en utilisant mon journal personnel de ces années-là. » Son récit autobiographique fait écho à son livre Les Années, elle regarde la femme qu’elle était à travers un prisme socioculturel où tout lui est propice à souligner son appartenance de classe : l’outil caméra qui filme, la présence de sa mère, les vacances d’une famille de gauche qui emménage à Cergy-Pontoise...

Le montage amplifie le commentaire, distancie et critique ses comportements par exemple ses destinations de voyages où l’on reste entre soi au Maroc, où l’on ne voit rien dans les pays de l’Est.

L’utilisation du journal personnel révèle hors champ une femme secrètement taraudée par l’écriture qui, si elle ne change pas la vie comme on veut, peut fonctionner comme une bombe à retardement pour « venger sa race ».

C’est un film sur la rupture d’un couple qui montre le détachement progressif matérialisé par ce qui se creuse entre le texte et l’image où elle est de plus en plus en retrait. Et je trouve particulièrement émouvant que cette femme au visage souvent triste, qui se cherche à l’époque, sans doute grâce à ce projet de film avec son fils, termine son récit par par une note positive. Les images de famille, dit-elle, « immortalisent avant tout les moments de joie qu’on ne pourra vivre deux fois ».

Dans un journal vidéo réalisé avec mon téléphone portable depuis six ans, je garde des traces de moments de joie mais ce n’est pas seulement parce qu’on ne pourra pas les vivre deux fois, c’est surtout car ces images éblouissantes de bonheur, de vie, de jeunesse font du bien, revigorent sans que je comprenne pourquoi, la grand-mère de 75 ans que je suis !

Mes journaux vidéo n’ont pas toujours de commentaires, mais les images demeurent. Il me vient à l’idée que je pourrais les regarder à nouveau et faire apparaître en voix off les événements historiques tels que je les ai perçus : attentats, confinements, guerre en Ukraine, climat qui sous-tendent les scènes des enfants, des petits-enfants et notre inexorable vieillissement.

PS
Au moment où j’écris ce texte, j’apprends qu’Annie Ernaux vient d’obtenir le prix Nobel de littérature. J’ai lu tous ses livres, je m’en réjouis pour elle, elle l’a bien mérité.