Didier Eribon : Retour à Reims

samedi 6 février 2010, par Édith Bernheim

Fayard, 2009

Reims est à moins de 150 km de Paris, pourtant notre narrateur a mis plus de 30 ans pour entreprendre ce voyage ou plutôt ce « processus de retour » auquel il n’avait pu se résoudre. Il avait fui le milieu pauvre, inculte et homophobe de ses parents. Devenu philosophe et écrivain Didier Eribon a beaucoup écrit sur « la honte d’être gay » mais il essayait d’occulter ses origines ouvrières.

La mort du père, que pourtant il n’aimait pas, le jette dans « un grand désarroi ». (Il pense à James Baldwin qui relate des circonstances quasi semblables). Voir sa mère et bavarder avec elle à propos de vieilles photos lui permet de retrouver cette « contrée de lui-même » de se la réapproprier.

Autobiographie lucide. Comme ces vies étaient difficiles ! La grand-mère maternelle est fille-mère a 17 ans, le maçon andalou, père de l’enfant disparaîtra très vite. Elle aura une vie aventureuse puis sera concierge à Paris. Sa fille ( mère du narrateur), élevée en grande partie à l’orphelinat, est placée très tôt comme bonne à tout faire malgré son certificat d’études. Plus tard, elle fera des ménages puis travaillera à l’usine regrettant toute sa vie les études qu’elle aurait voulu faire. Le grand-père paternel est ébéniste. L’aîné de ses 12 enfants (père du narrateur) est fruste, pauvre en vocabulaire, il ne saura s’exprimer que par la violence.

Sans compassion ni indulgence mais quand même avec une certaine tendresse implicite pour la mère, Didier Eribon cherche à comprendre ces gens qu’il a connu, inféodés au PC et qui maintenant votent FN. « C’est un vote de protestation et non de désir d’avenir. » A l’aide de ses maîtres à penser et quelquefois amis : (Foucault, Barthes, Bourdieu, Dumezil ), Didier Eribon se livre a une socio-analyse pointue, pas du tout théorique, concrète, imagée, passionnante. Et Quel plaisir aussi pour le lecteur de voir citer des écrivains un peu oubliés : Paul Nizan, Claire Etcherelli.

Nous ne pouvons que dire après Annie Ernaux (dont l’auteur se sent très proche) : « ce livre est magnifique, diablement intelligent, bouleversant », et particulièrement intéressant pour nous apaïstes !