Dominique Bona : Mes vies secrètes

mardi 1er octobre 2019, par Elisabeth Gillet-Perrot

Gallimard, 2019

Le titre peut surprendre, mais l’autrice (8ème femme académicienne) se déclare plus biographe que romancière. Elle apparaît dans ce livre plus comme biographe que comme autobiographe ; en effet, elle ne nous dévoile de sa vie que ses rencontres avec les auteurs dont elle a écrit les biographies. La plupart étaient déjà morts quand elle a écrit ces ouvrages, sauf Michel Morht au fauteuil duquel elle a ensuite été élue à l’Académie française et qu’elle avait rencontré. Jean d’Ormesson aimait beaucoup Michel Morht et il a rapporté cette anecdote : « Maurice Druon, alors Secrétaire perpétuel, lui ayant demandé s’il voulait faire partie de la commission du Dictionnaire - privilège accordé à de rares élus - , Michel Morht avait répondu, furibond : « Ah, non ! J’ai horreur des dictionnaires ».

Elle raconte comment elle a été convaincue d’écrire une biographie d’André Maurois qu’elle trouvait trop bien pensant ; le Docteur Naquet lui confie un carton à chapeaux qui contenait des centaines de lettres : « Quarante ans de correspondance amoureuse. Les lettres de Maurois aux femmes de sa vie. Et la réponse des épouses, des amies, des maîtresses. Ainsi le plus sage des M. avait eu lui aussi sa part d’aventures ! Ladies : le pluriel était savoureux. » La voilà convaincue !

Quand c’est nécessaire, elle parcourt le monde pour trouver les détails authentiques de ceux dont elle nous raconte les vies. Ainsi est-elle allée à l’hôpital psychiatrique de Montdevergues où Camille Claudel a passé trente de sa vie sans aucune visite de sa mère et seulement quelques-unes de son frère Paul.

Elle évoque avec bonheur sa rencontre virtuelle avec Romain Gary qu’elle appelle « l’enchanteur ». Elle avait reçu Les racines du ciel comme cadeau pour ses 18 ans : « Ce premier Gary a été une révélation... love at first sight. La foudre est tombée sur moi ». Pour cette biographie, elle a cherché à rencontrer Paul Pavlowitch, le « neveu » de Gary qui a refusé de la recevoir mais ils eurent plusieurs longues conversations au téléphone. Elle a pu, en revanche, parler plusieurs fois avec Lesley Blanch, la première épouse de Gary. Et c’est sa biographie de Romain Gary qui va lui valoir le Grand Prix de la biographie de l’Académie française.

Elle parle peu de « Colette et les siennes » sans doute car toutes avaient disparu ; elle s’attarde plus volontiers sur les vivants comme Jean-Marie Rouart et François Nourissier, lequel lui fait remarquer qu’elle préfère écrire des biographies plutôt que des romans.

Elle souligne un fait intéressant : il y a deux sortes de biographies : « Les biographies que j’aimais et qui étaient mes modèles, c’étaient les livres de Mauriac, de Maurois, de Zweig, de Troyat. Des récits vivants et généreux. Des portraits à l’encre sèche, incluant de belles analyses, mais privilégiant la synthèse de tous les éléments soigneusement rassemblés, pour le plaisir de lire et la joie de partager. »

J’aime particulièrement l’anecdote suivante : « Un ami, excellent biographe, Ghislain de Diesbach, m’a raconté que, dans chacun de ses livres, tous admirablement documentés, il introduit un petit détail de son invention... c’était surtout un piège. Retrouvant sous la plume des autres biographes ce détail qu’il avait lui-même inventé, il les prendrait en flagrant délit de plagiat ! »

La dernière fois qu’elle a vu François Nourissier, il lui a fait cette confidence : « Dominique, la biographie… c’est par là que vous nous livrez les secrets de votre cœur ». Voilà de quoi nourrir nos méditations !