Dominique Cabrera : Grandir

dimanche 10 novembre 2013, par Élisabeth Cépède

Nous connaissons déjà Dominique Cabrera pour avoir vécu avec elle la grave dépression racontée dans Demain et encore demain. Journal 1995 (1997). Elle revient aujourd’hui présenter sa famille au grand complet, avec la suite de son récit de vie intitulée Grandir (2013, 1h33).

Nous voici d’abord à Boston, à l’occasion du second mariage de son frère Bernard. On fait la connaissance de la fratrie complète : Dominique, Thierry, Bernard et Nathalie et leurs enfants. Les parents sont présents aussi. Au cours d’une cérémonie intime les époux échangent leur foi. « I will help you to grow as an individual, and as a parent and together as a couple », promet Bernard à Jenny. « Grandir » s’entend donc comme le perfectionnement de soi dans toutes ses dimensions et grâce à un autre.

Le terme revient souvent. N’est-ce pas en voyant les enfants grandir qu’on prend conscience du passage rapide du temps ? Grandir ne va pas sans vieillir et rapproche de la mort. Filmer les fêtes de famille c’est emmagasiner la présence des êtres chers avant leur disparition. Depuis dix ans, Dominique saisit les expressions de bonheur des adultes et les réactions plus réservées des enfants. La caméra à l’épaule donne une vision tremblée de la vie familiale, belle métaphore de ces moments d’intense émotion et de désordre passager.

La naissance prochaine d’un enfant chez Nathalie rassemble la famille à Marseille. La proche Méditerranée permet d’évoquer l’Algérie. Un petit-déjeuner sur le balcon rassemble la mère et les filles qui ne peuvent croire que Monique dise vrai en racontant qu’à l’école elle ne savait pas répondre à son nom. Dans une scène émouvante de Demain et encore demain, reprise dans Grandir, sa mère confiait à Dominique qu’elle avait appris seulement au moment de se marier qu’elle avait été adoptée. Elle n’en savait pas plus.

Cette nouvelle perturbe encore ses enfants. Particulièrement Dominique qui, insomniaque, se demande devant son miroir « pourquoi je ne peux pas être paisible ? Dormir profondément. » Pour en avoir le cœur net, il lui faut, croit-elle, percer le mystère de la venue au monde de sa mère. Elle entraîne donc sa jeune sœur Nathalie en Algérie pour mener enquête. Elles trouvent vite dans les registres de l’hôpital trace de leur grand-mère et de leur mère. Apprenant que la lettre T qui suit le nom de leur mère signifie « enfant trouvé », elles sont bouleversées. Nathalie va jusqu’à fantasmer devant la caméra la naissance de sa mère sur la voie publique et la déréliction de leur grand-mère. Dominique et sa sœur décrivent les moments de « détresse » éprouvés plusieurs fois dans leur vie, qu’elles voient aujourd’hui comme la trace en elles de ce drame.

Le retour dans le passé permet à Dominique de revenir à l’ordre chronologique : le départ de l’Algérie et l’arrivée en Normandie à Vernon en 1963. Les films super-8 du père montrent une Dominique de quatre ou cinq ans jouant avec son frère Thierry. Que pensait-elle, alors, de son papa filmeur ? L’image d’objets ayant appartenu à son père fait pressentir qu’il est mort à l’heure où sa fille les filme.

Grandir est aussi un film de deuil. La mort du père est d’abord annoncée par une scène où Nathalie et sa mère regardent des photos de lui. Devant le cercueil ouvert, Dominique ne se résigne pas : « Je n’arrive pas à penser que je ne vais plus jamais le voir ». Pendant quelque temps, elle ne peut plus filmer. Elle prend des photos. Elle transmet à son fils Victor la caméra de son père.

Épilogue : aux États-Unis les Cabrera célèbrent en famille le premier anniversaire de la mort du père. C’est aussi celui des treize ans de Nicholas qui reçoit un téléphone portable et s’entraîne à filmer. Oui, la relève est bien assurée chez les Cabrera.