Dominique Fouchard : Le poids de la guerre. Les poilus et leur famille après 1918

lundi 24 juin 2013, par Madeleine Rebaudières

Presses Universitaires de Rennes, 2013

L’ouvrage est issu d’une thèse de doctorat en histoire, soutenue en 2011, sous la direction d’Annette Becker qui en écrit la préface.

Dominique Fouchard a voulu donner de la voix à des hommes, des femmes et des enfants, tous marqués par le conflit qui inaugure un siècle nouveau, un bouleversement énorme qui laisse des traces dans toutes les familles françaises. La Grande Guerre, c’est 8 millions de mobilisés, 1 450 000 morts (27% des 18-27 ans), 3 à 4 millions de blessés, 600 000 veuves et 760 000 orphelins. Elle s’intéresse au retour des poilus et se plonge dans les archives de l’intime : lettres, journaux et récits des poilus et de leur famille déposées à l’APA, à l’Historial de la Grande Guerre, à la Fondation des Orphelins-Apprentis d’Auteuil (témoignages de familles défavorisées) et dans différentes archives publiques et privées. La correspondance de guerre est énorme (fruit de la scolarisation de tous les Français). Les écrits plus tardifs, mémoires ou récits autobiographiques sont enrichis par la distance prise par le sujet qui se penche sur le passé, et mesure l’empreinte laissée par l’événement si particulier et si bouleversant pour les relations familiales qu’est la Grande Guerre.

Elle étudie les ouvrages d’histoires récents sur la Grande Guerre, l’histoire des femmes et du genre, de l’enfance en guerre, du deuil, dans leurs approches nouvelles et fécondes. Ces espaces où l’intime a pu laisser des traces, il faut les croiser, l’approche est souvent contradictoire, déroutante. Elle suit Michel Foucault pour « analyser le sens et les enjeux de l’échange épistolaire », pour contextualiser les sources médicales, un des pivots majeurs de son corpus très riche (thèses de médecine, ouvrages médicaux, revues, conférences), afin d’éviter les interprétations anachroniques. C’est une approche de l’intime dans l’entre-deux-guerres, une histoire qui « tricote » les sources et s’appuie aussi sur le collectif : le contexte politique et social (thèses de droit, ouvrages de sociologie, débats parlementaires).

Les deux premières parties de l’ouvrage portent une attention aux corps : « L’imaginaire du retour », « les mots du retour rêvé », « du front militaire au front domestique », « l’impossible démobilisation intime », « des enfants blessés par la guerre », « masculin/féminin, le choc des expériences », « des vécus de guerre qui éloignent », « alcoolisme et toxicomanie, l’impossible oubli », « les divorces ou l’échec du retour ». Avec cependant « des couples en paix », « la redécouverte du sentiment amoureux », mais aussi « des familles recomposées par la guerre » : « grandir sans père », « des pères étrangers, intrus parfois ». Les archives médicales sont explorées de manière très fine.

La troisième partie : « Vers de nouveaux comportements conjugaux et familiaux » se fonde beaucoup sur la presse féminine et féministe : enquêtes et concours sur l’amour, le couple, la famille après la guerre, et les courriers des lecteurs. Il s’en dégage l’existence de gens heureux, la découverte de soi que les conditions de vie imposées par la guerre ont permises, de nouvelles relations de couples. Alors qu’à l’échelle collective, on observe un raidissement de stéréotypes masculin et féminin, avec les mesures prises durant tout l’entre-deux-guerres en faveur de la natalité et une crise du mariage liée au déséquilibre démographique : 120 femmes pour 100 hommes après le conflit. Le dernier chapitre explore la « naissance de la jeune fille moderne ».

Cette fascinante et « grisante » lecture permet de découvrir des sources aussi riches que variées (bibliographie très complète, index très pratique) et éclaire l’Histoire « du sensible » d’une époque qui nous concerne tous.