Donatien De Sade : Lettres d’une vie

dimanche 30 mars 2014, par Élizabeth Legros Chapuis

10/18, 2014

Jacques Ravenne, spécialiste de critique génétique et auteur de romans policiers en collaboration avec Éric Giacometti, a établi et commenté ce choix de lettres du marquis de Sade.

Depuis sa découverte, en 1985, du château de Sade à Lacoste, dans le Luberon, Jacques Ravenne s’est passionné pour la vie méconnue du marquis et il a rassemblé une riche iconographie ainsi que de nombreux livres et manuscrits. En cette année qui est celle du bicentenaire de la mort de Sade, il vient de publier en même temps chez Fleuve Noir un roman intitulé Les Sept Vies du Marquis.

« Il faut avouer que les lettres de Sade ont connu bien des avanies et des errances. Détruites par des correspondants souvent effrayés, dissimulées par les familiers, dispersées au hasard des héritages, on en connaît aujourd’hui environ neuf cents, dont un bon nombre malheureusement de façon fragmentaire », indique Jacques Ravenne dans sa préface. Cet ensemble ne constitue toutefois que « la partie émergée de l’iceberg », car le Marquis était un épistolier forcené, et ses longues années de captivité (onze ans en prison à Vincennes et à la Bastille, treize ans à l’asile de Charenton…) lui ont donné l’occasion d’écrire de nombreuses missives.

L’anthologie compte donc 60 lettres réparties en cinq périodes, chacune assortie d’une chronologie détaillée, et s’étendant de 1759 (Sade a 19 ans) à 1811 (il a 71 ans). Ces lettres sont adressées à son oncle, à son épouse, à sa belle-sœur, à son notaire, à son valet… et invariablement signées « De Sade », quel que soit le destinataire. Les plus nombreuses sont celles à sa femme, Renée Pélagie de Montreuil, qu’il avait épousée en 1763 : mariage d’argent arrangé par son père, qui s’ est transformé en une grande affection et complicité entre les époux, malgré les infidélités incessantes du marquis.

À travers toutes ces lettres, on voit se dessiner un personnage complexe, d’esprit vif, d’une grande franchise en ce sens qu il dit ce qu’il pense sans se soucier des réactions : « Ma façon de penser, dites-vous, ne peut être approuvée. Et que m’importe ? Bien fou est celui qui adopte une façon de penser pour les autres ! » (Lettre à Mme de Sade, de Vincennes, début novembre 1783). En prison, il fulmine, se plaint, réclame qu’on lui fournisse du linge ou d’autres articles, plaide (« Je suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel ni un meurtrier… »), ironise : « Me refuser les Confessions de Jean-Jacques est encore une excellente chose, surtout après m’avoir envoyé Lucrèce et les dialogues de Voltaire ; ça prouve un grand discernement, une judiciaire profonde dans vos directeurs. (…) Ayez le bon sens de comprendre que Rousseau peut être un auteur dangereux pour de lourds bigots de votre espèce, et qu’il devient un excellent livre pour moi. Jean-Jacques est à mon égard ce qu’est pour vous une Imitation de Jésus-Christ. »

Le livre s’achève sur un extrait du testament de Sade, qui aurait voulu être enterré dans sa propriété de Malmaison : « … La fosse une fois recouverte, il sera semé dessus des glands, afin que par la suite le terrain de ladite fosse se trouvant regarni, et le taillis se retrouvant fourré comme il l’était auparavant, les traces de ma tombe disparaissent de dessus la surface de la terre, comme je me flatte que ma mémoire s’effacera de l’esprit des hommes. » Ni la sépulture voulue, ni l’oubli ne seront accordés au marquis de Sade, « cet esprit le plus libre qui ait encore existé », selon Apollinaire, qui publia en 1909 la première anthologie de ses textes.