Elisa Fourniret : Comme une grande

mercredi 11 octobre 2017, par Élizabeth Legros Chapuis

éd. du Mauconduit, 2017

Ce livre estampillé « roman », écrit à la première personne, donne tout de suite l’impression d’une autofiction. Un bref sondage auprès de l’éditrice m’apprend que l’auteur reconnaît volontiers le caractère autobiographique de son récit… Un récit qui n’est pas linéaire, mais ressemble plutôt à une évocation, une plongée dans la vie quotidienne, avec quelques flash-backs dans un passé plus ou moins proche.

Le personnage principal est une jeune femme dans la quarantaine, vivant seule à Paris avec son fils de 8 ans, Vladimir, séparée du père de l’enfant. Comme l’héroïne de Rébecca (mais c’est tout ce qu’elles ont en commun), on ne connait pas son nom. Puisque c’est le double d’Elisa, pour la commodité, je vais l’appeler Alizée.

Alizée est une jeune femme réaliste, lucide, et en même temps sentimentale, vulnérable. Au début du récit, elle sort d’une rupture. Elle se laisse souvent piéger dans des histoires sans lendemain avec des hommes de passage – qui souvent n’ont pas de nom, eux non plus, mais sont désignés comme « le doctorant », « le comédien », « l’homme de Nantes ». Seuls sont dotés d’un prénom Jeff, le père de Vladimir, et Vincent, celui avec qui, à la fin du livre, on se dit qu’elle restera peut-être un peu plus longtemps.

Au fil de la plume viennent aussi des réflexions sur la féminité, la famille, la ville, la société, le monde tel qu’il va (c’est-à-dire mal). Et les hommes, ces êtres étranges, avec qui on cherche à établir un équilibre forcément instable, l’espace d’une nuit ou de quelques mois. « Tellement compliqué le marché du love par les temps qui courent. » Il faut dire qu’ils sont souvent fuyants, les hommes, effrayés, lâches. Alizée, elle, s’épuise dans la difficulté à gérer le double rôle de femme et de mère. Avec la présence en arrière-plan de Jeff, immature, irresponsable, qu’il faut toujours tirer d’un pétrin, qu’elle ne peut pas renier complètement.

On rencontre aussi sa sœur, son amie de toujours, et ses copines avec qui elle boit des verres dans les troquets du quart Nord-Est de Paris. Les copines et les potes qui lui disent « le taf qu’on n’a plus, le fric qui manque, l’âge qui vient, l’amour qu’on ne croise pas, les enfants qu’on n’aura peut-être plus, le combat ordinaire ». Les filles qui suivent malgré elles « la moderne injonction de l’auto-réalisation-du-moi-moi-moi-mon-nombril-de-moi : le love et le love et l’enfant et la carrière et les amis et les dîners et danser sur Diamond de Rihanna et l’expo de 19 heures à la Maison Européenne de la Photographie […] »

Le récit nerveux, intense, bourré d’humour, est écrit dans une langue familière, immédiate, ponctué de réminiscences des origines ouvrières d’Alizée, de son enfance lorraine à Longwy, paysage sinistré, les Polaks et les Ritals comme chez Cavanna ; de sa grand-mère polonaise, Zofia, récemment disparue ; de ses parents qui ont refait leur vie sur le tard – le père a réussi en fin de compte à devenir musicien comme il en avait toujours rêvé, il est devenu intermittent du spectacle, il fait des tournées avec son accordéon. Parcours chaotiques de notre temps.

Si Virginie Despentes avait une petite sœur, elle pourrait s’appeler Elisa Fourniret… Comme l’auteur de Vernon Subutex, elle nous montre le Paris d’aujourd’hui et une femme d’aujourd’hui avec ses incertitudes, son mal-être, son langage qui est désormais le nôtre, mêlé de ce franglais qui bon gré mal gré nous a envahis. Des dialogues qui percutent, des scènes brèves qui font mouche. Un heureux mélange de courage et de jubilation, de dérision et de tendresse : on a envie de la connaître, cette fille sans nom, et de lui dire que oui, elle se débrouille bien, comme une grande.