Emmanuel Carrère : Yoga

mardi 27 octobre 2020, par André Durussel

P.O.L

Ce récent ouvrage d’Emmanuel Carrère a déjà fait beaucoup parler de lui dès sa sortie de presse, en juin 2020. Peut-être parce que ce livre était initialement candidat au prix Goncourt, ou parce que son ex-épouse Hélène Devynck a vivement déploré certains passages de cette autobiographie la concernant ? Elle pose en tout cas crûment la question des pièges ou, à tout le moins, des risques de l’entreprise autobiographique.

Il n’en demeure pas moins que ce récit est un témoignage important, précis et qui m’a paru d’une grande sincérité. Il m’a toutefois rappelé ces lignes qu’écrivait Albert Camus en 1950, dans L’Eté : "Les oeuvres d’un homme retracent souvent l’histoire de ses nostalgies ou de ses tentations, presque jamais sa propre histoire, surtout lorsque ces dernières prétendent à être autobiographiques. Aucun homme n’a jamais osé se peindre tel qu’il est."

Or, Emmanuel Carrère a osé. Il a osé raconter son vécu durant cinq années, comme écrivain et romancier qui n’est pas à son coup d’essai, déjà récompensé par de prestigieux prix littéraires. Cinq années durant lesquelles ce praticien du yoga et de la méditation va être tout d’abord confronté à une expérience collective de gestion de ses fluctuations mentales dans une sorte d’enclos où il se découvre : "Je suis un homme narcissique, instable, encombré par l’obsession d’être un grand écrivain. Mais c’est mon lot, c’est mon bagage, il faut travailler avec le matériel existant et c’est dans la peau de ce bonhomme-là que je dois faire la traversée."

Ce stage est interrompu par l’attentat de « Charlie Hebdo » du 7 janvier 2015, puis l’auteur relate, avec la précision méticuleuse d’un psychiatre, les affres d’une terrible dépression, accompagnée d’idées suicidaires, et qui va durer plus de quatre mois. Ces pages sont parmi les plus denses de cette sorte d’autobiographie d’un bipolaire. Mais les lectrices ou lecteurs psychiquement fragiles ou fragilisés par de telles expériences vécues devraient mieux, à mon avis, s’abstenir de les lire.

Un long reportage effectué ensuite dans l’île grecque de Léros, constitue un cinquième chapitre de l’ouvrage. L’auteur y est en compagnie d’une prénommée Erica dans un camp de réfugiés, avec le jeune Atiq. Celui-ci est venu d’Afghanistan, via le Pakistan et Istanbul, et il raconte son histoire. Mais il est aussi question des somptueux crescendos d’octaves de la Polonaise héroïque de Frédéric Chopin et de la pianiste Martha Argerich dans ce vécu foisonnant.

C’est par un hommage à son éditeur Paul Otchakosky-Laurens, décédé le 2 janvier 2018 que s’achèvent ces 392 pages. Avec une posture de yoga appelée adomukhavrikhsana. La boucle est ainsi bouclée.

On lira dans La Faute à Rousseau n° 86 à paraître en février 2021 un article plus développé sur ce livre et sur les questions que pose son positionnement complexe entre autobiographie et autofiction.