Emmanuelle Ryser : Le Cake au citron

lundi 5 octobre 2020, par Élizabeth Legros Chapuis

éd. Lemart, Lausanne, 2020, 202 p.

Pour son premier roman, Emmanuelle Ryser n’a pas choisi la facilité. D’abord avec un thème pour le moins « casse-gueule » : la mort, ou du moins l’effet de la mort d’un proche sur un survivant. Et puis la forme : le livre entier est rédigé à la deuxième personne du singulier (chose assez rare dans le roman, je pense toutefois à Un homme qui dort de Georges Perec…), la narratrice – qui reste dépourvue de nom – s’adressant à elle-même.
Pari réussi pourtant. Cela tient beaucoup au ton – vif, vivant, léger même s’il devient parfois grave.
Le livre porte l’étiquette de roman, mais Emmanuelle Ryser (que les Apaïstes connaissent bien pour son « art timbré » et ses ateliers d’écriture, entre autres) ne cache pas son caractère autobiographique. Tout n’est pas strictement véridique cependant, elle admet que certains éléments ont été inventés ; mais je n’ai pas envie de lui demander lesquels : c’est son privilège d’auteur.
Nous avons donc cette narratrice, une jeune femme quadragénaire qui vit en Suisse, mariée et mère de deux jumelles. Son père est mort depuis longtemps. Et voilà qu’elle perd sa mère. Avec ce livre, nous l’accompagnons pendant l’agonie, le décès et l’année qui va suivre, jusqu’à ce qu’à l’avant-dernier chapitre elle constate : « La vie reprend ».
Entre temps, la narratrice aura exploré l’appartement de sa mère et découvert qu’elle s’adonnait à une collection plutôt insolite (dont je ne dévoilerai pas l’objet). La disparition d’un être cher nous fait découvrir à leur sujet bien des choses ignorées jusque-là…
Les jumelles, âgées de sept ans, posent à leur mère des questions auxquelles elle se trouve incapable de répondre. Elle ne nous épargne pas les détails parfois sordides, ni l’étendue de son chagrin, qu’elle juge même obsessionnel, d’autant plus qu’elle découvre à cette occasion combien le deuil est chose difficile à partager : personne ne veut en entendre parler. Mais son caractère enjoué reprend souvent le dessus, et elle nous offre quelques délicieuses observations.
Ainsi au début du livre, elle suggère que son objectif premier avait été d’écrire une sorte de mode d’emploi, un manuel qui pourrait s’intituler « La mort pour les Nuls ». Même si elle y renonce, on trouve à la fin de l’ouvrage une liste de « trucs utiles » (nullement fantaisistes) à savoir à propos d’un décès. Les listes, voilà une petite manie que la narratrice partage avec Emmanuelle Ryser ! Cela donne aussi un « abécédaire de la mort » à la fois déchirant et désopilant. Bien souvent dans ce livre, on rit avec les larmes aux yeux. Et c’est pourquoi il porte ce titre doux-amer de « Cake au citron » : « Le Cake au citron mélange l’acide et le sucré, comme la vie mélange le malheur et le bonheur. Quand c’est acide, ça te fait des frissons, mais avant que tu aies les larmes aux yeux, c’est sucré, ça te fait tout doux et tu rigoles. Si tu le manges dans la joie, il te rappelle que la vie n’est pas toujours facile, mais si tu le manges dans la tristesse, il te dit que bientôt ta vie sera douce. » En prime, on a la recette ! Merci Emmanuelle !