Éric Chevillard : Monotobio

mardi 31 mars 2020, par Denis Dabbadie

Les éditions de Minuit, 2020

Monologotobio

Trois jours avant J. c. (Jour du confinement), c’était un vendredi 13… j’ai acheté mon dernier (?) livre dans la dernière (!) librairie d’Annemasse : Monotobio d’Éric Chevillard. Un autobiographe ? Plutôt, un jongleur – équilibriste (tout sauf un spécialiste de livres égaux…) – autographe.
J’avais déjà lu Du hérisson, roman, virtuose journal de bord – de bureau : au bord de celui-ci, apparition inexpliquée de l’animal qui envahit toujours davantage l’espace, y compris littéraire, de l’écrivain. Feu d’artifice à ras de plume et d’aiguillons : piquant, certes, mais encore…
Plus tard, ce fut L’auteur et moi, roman : j’en étais curieux, et restai déçu. Exercice de style vite fastidieux avec ses deux-trois lignes de texte par page, occupée par des notes « autobiographiques » à rallonge. Je n’en avais finalement pas tiré de « Nous avons lu ».
Monotobio (nulle référence romanesque ici) promet une écriture autrement personnelle. L’auteur, qui avoue ne se séparer jamais d’un sien carnet, a consigné entre 2007 et 2017 tout ce qu’il faisait. D’autre part, il a entrepris de réunir quotidiennement trois courtes entrées, publiées sous le titre L’Autofictif, journal, d’abord en ligne, puis en 12 volumes, qui donnera en 2018 L’Autofictif ultraconfidentiel, pavé de 1216 pages – pour amateurs de journaux monstres (j’en connais !). Aujourd’hui, il re-tient – sans retenue – un journal, mais on ne peut lui reprocher de prendre le train en marche.
Qui invente nos vies, infléchit nos choix ?
Moi-même Dijonnais, je dois avouer une indulgence certaine envers un auteur qui déambule du Palais des Ducs à la rue Devosge…
Si nul n’est maître de son destin – et tout soi-disant maître de son destin est nul –, une solution (au sens chimique, également) ne pourrait-elle être de le mettre en mots ? D’où l’idée de ne rien laisser passer puisque tout sera couché sur le papier. Résultat : « c’était écrit ».
Dans ce recompte rendu chronologique (de 2007 à 2017, donc), que chercher – de la logique ou de l’alogique ?
Magicien de causes, roi de l’ellipse farfelue, Chevillard rebat les cartes que sont les pages de ses carnets, élimine avec plaisir les chevilles habituelles d’un récit, ou en rajoute : « ... à La Marténie, un gîte, près de Mijoux. Il s’agissait cette fois de surprendre une biche, qui détala, de traverser un golf sous la pluie et de vider un verre d’Arbois. D’autres suivirent : comment se soustraire au destin et à sa loi d’airain ? La dalle est en pente. Ainsi, je descendis dans la carpière asséchée du château de Voltaire, à Ferney ». Moi aussi…
Et les conjonctions de coordination de semer la zizanie, jouant les trouble-faits. Troublants effets.
En pleine lecture de Don Quichotte, je goûte la remarque : « On se repère, on se reperd, l’homophonie est le seul paysage familier des âmes errantes ».
Ou demeure songeur après celle-ci : « L’homme frappé d’amnésie a-t-il encore un destin ? »
Et celui qui ne tient pas son journal ni ne compte écrire son histoire ?
Or donc, jusqu’à nouvel « ordre », l’alphabétique nous peut servir de recours-secours : prochaines étapes – nosotobios.
Osotobios ! (cri de ralliement)
Posotobio...
Avec pour horizon… rosotobio !