Eric Dubois : L’homme qui entendait des voix

lundi 29 mars 2021, par Pierre Kobel

Editions Unicité, 2021

Écrire à propos de soi peut être vaniteux, impudique, nombriliste. Le récit d’Éric Dubois relève du courage. Car c’est courageux que de se mettre à nu et de dire la maladie. Il publie L’homme qui entendait des voix aux éditions Unicité et écrit : « C’est un livre pour la vie. C’est un livre dans la vie. Je suis schizophrène et je vis avec la maladie. Je vis. C’est un combat de tous les jours. » La schizophrénie, si elle fait la une des médias chaque année à l’occasion de la journée qui lui est consacrée, reste le plus souvent dans l’ombre de la méconnaissance et des peurs qu’elle inspire. Et cela alors qu’elle touche plus de 1 % de la population, qu’elle est la maladie mentale la plus fréquente et que des soins de plus en plus efficaces peuvent être prodigués à ceux qui en souffrent.

Éric Dubois, dans ce récit autobiographique, raconte son parcours avec la maladie, du jour où elle fut diagnostiquée quand il avait presque trente ans, et ses conséquences sur son existence : prise de médicaments à vie, handicap invisible qui provoque une dépendance matérielle et financière à force d’allocations, la grande difficulté à trouver un emploi, à nouer une relation amoureuse.

Enfant timide, jeune homme réservé, Éric a mené une vie de jeune adulte plus festive, parfois d’excès quand dans le même temps il était victime, dans le cadre professionnel, de collègues harceleurs qui jouaient de ses fragilités comportementales pour des bizutages cruels. Des années dont il écrit qu’elles « constituent l’acmé de sa vie ». Il raconte comment ses fragilités se sont révélées maladives quand il a commencé à entendre ces voix qui font le titre de l’ouvrage. « Des ombres de moi-même. Des reliquats de rêves. » Relation décalée au monde, aux autres, hors des normes sociales qui l’ont conduit à ce qu’il soit interné en psychiatrie à la demande de sa famille. Cette maladie, « c’est à la fois une violence du langage et une violence de soi qui se heurtent au mur d’incompréhension des autres. », écrit-il.

Dans la recension qu’elle fait de ce récit, Carole Mesrobian écrit : « Le sujet abordé témoigne d’un grand courage, d’une grande honnêteté ainsi que d’un altruisme qui a porté Éric Dubois de bout en bout de la rédaction de ces pages. »

Éric Dubois vit aujourd’hui dans la stabilité que lui permettent à la fois un traitement médicamenteux et un suivi psychothérapeutique avec des soignants de confiance. Il a pu retrouver une autonomie matérielle, c’est aussi grâce au langage et à l’écriture qu’il a reconstruit son existence. Auteur de nombreux recueils de poésie, créateur de blogs dans lesquels il fait un travail de passeur à l’image de sa générosité et de son attention aux autres, animateur d’une association qui accueille ceux dont la plume n’est pas toujours lue ailleurs, il a trouvé dans l’écriture le mode d’expression qui lui permet de réduire la fracture qui est en lui, d’être au monde en quête de soi, d’appartenir à la communauté, si fragile et disparate soit-elle, des écrivains. De la même façon que son errance psychique signifiait qu’il n’allait pas bien, l’écriture est le moyen par lequel il s’est sauvé ainsi que le lui signifie son « médecin de la tête », ainsi qu’il l’appelle.

L’homme qui entendait des voix est un récit à voix nue. Plus que la compassion et l’empathie auxquelles il appelle légitimement, il faut y lire le témoignage nécessaire d’un malade qui nous ressemble par ce qu’il a d’indistinct et qui nous interpelle par le miroir qu’il tend à nos propres fragilités.